Hieronymus, moi, Jérôme Bosch, Frédéric Grolleau
Hieronymus, moi, Jérôme Bosch, Les Editions du Littéraire, Bibliothèque de Babel, novembre 2016, 292 pages, 23,50 €
Ecrivain(s): Frédéric Grolleau
500 ans après sa mort et à son « corps » défendant, Jérôme Bosch sacrifie pour notre plaisir et notre connaissance à l’autofiction. Frédéric Grolleau le fait parler en un journal intime enrichi de différents documents. Apparaissent les Riches Heures d’un peintre majeur pour lequel l’occultisme devint le ferment d’une esthétique où sont repoussées les dimensions « classiques » du bien et du mal, de la beauté et de la laideur, du multiple et de l’un.
Au service de son sujet, Grolleau va plus loin philosophiquement et littérairement que dans ses biopics de Nicolas Rey et de Tintin en ce qui tient d’une anaphore. Elle ouvre le monde loin de ses attendus en vue d’atteindre une infinitude que peu de peintres ont su toucher d’aussi près. Existe dans l’œuvre de Bosch beaucoup d’atmosphère, beaucoup de souffle souterrain, de « mêmeté » et de beauté moniste. Mais perdurent autant d’altérité et de beauté et laideur convulsives.
L’auteur parvient au cœur de l’œuvre là où, et paradoxalement, un désordre des objets circonscrits laisse place à une autre unité du monde en l’être, de l’être au monde. Dans cette œuvre, l’analogon alchimique « de l’humidité informe originelle est cette “eau sèche” qui, sous forme de brouillard s’élève. Il contient la semence de toute chose mais s’évanouit au moindre réchauffement ». Mais Bosch a réussi à le condenser : « c’est ce principe volatil, mystérieux et féminin qu’il s’agit de lier par addition du principe féminin ». Ce principe, l’artiste l’a repris à sa main pour en retenir la quintessence mais en la liant aux restes, aux « cendres du caput mortuum (la tête morte) » des cornues alchimiques.
L’ensemble prend un caractère énigmatique, énorme et multiple dans ce qui devient la Divine Comédie picturale sans doute indépassable comme l’est en poésie l’œuvre de Dante. Grolleau montre comment l’œuvre anime tant de réel insu dans l’abord des choses afin que jaillisse absolument le monde, le monde absolument dans sa profondeur par effet de surface. Jusque par la voie des enfers, Bosch élève le monde et le sujet observant vers une anagogie de soi et l’unité irénique qui ne peut passer que par la vision de « contorsionnistes idiots rongés par le chancre, les gueux besaciers aux moignons secs et pattes crochues ».
Bosch à travers son « journal » par ses franges souligne combien « l’enfer des uns s’avère parfois le paradis des autres ». Il propose la clé alchimique majeure à la compréhension de son œuvre, ses méandres et ses spasmes de l’œuvre. Ce qui est sourdement l’absolu, l’éternité d’une vérité rejoint le capharnaüm où le réalisme se relie au fantastique loin de toute simplification paisible mais où s’opère la formulation la plus singulière de la phénoménologie qu’est la peinture.
Loin de l’apaisement des formes ou de leur simple organisation orthonormée, Bosch a mis en branle quelque chose de central qui organise à la fois l’évasion du monde mais aussi signifie son enfermement. Le Souverain Bien comme le mal générique ne se trouve plus après ta terre mais dedans. Bosch n’évoque pas une revoyure mais un retournement. Il ne s’agit pas de déterritorialiser l’être mais de montrer le fatras qui aliène la condition humaine à un désordre stupéfiant. Surgit une dimension autre. Ni supérieure ni inférieure ni parallèle : autre.
Jean-Paul Gavard-Perret
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