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Helena, Jérémy Fel, par Yann Suty

Ecrit par Yann Suty le 22.08.18 dans La Une CED, Rivages, Les Chroniques, Les Livres

Helena, Jérémy Fel, Rivages, août 2018, 800 pages, 23 €

Helena, Jérémy Fel, par Yann Suty

 

Faire peur, créer le suspense, maintenir en haleine, c’est aussi une question de méthode. Jérémy Fel connaît les classiques du genre suspense-horreur de « l’ère moderne », qui auraient pour roi celui qui s’est justement affublé d’un tel nom, Stephen King. Dans son deuxième roman, Helena, l’influence du maître de l’horreur est incontestable, avec des scènes qui ne sont pas sans rappeler certains passages de Misery, de Carrie ou encore de Ça. Les hommages (ou emprunts) à d’autres auteurs ou personnages du genre sont d’ailleurs légion, et on pourra déceler ici ou là des clins d’œil à Dexter, à Dragon Rouge, au Silence des Agneaux, mais aussi à David Lynch ou aux portraits de tueurs en série de Stéphane Bourgoin. Soit autant d’ingrédients qui permettent de concocter un thriller avec ce qu’il faut de sanglant, de suspense, voire de fantastique.

Mais Jérémy Fel est un habile cordon-bleu. Car s’il montre, et particulièrement au début de son deuxième roman,Helena, qu’il connaît les recettes classiques du genre (mais doivent-elles pour autant être des passages obligés ?), il parvient au fur et à mesure à se les réapproprier, à les personnaliser, pour livrer au final un ouvrage qui est bien plus qu’un simple pastiche ou un hommage aux maîtres du genre.

Jérémy Fel est d’abord et avant tout un conteur qui sait parfaitement mener son intrigue, qui mène ses personnages (et le lecteur avec eux) dans des situations qui paraissent presque inextricables, mais dont il parvient à sortir avec habileté, parfois avec créativité, et un peu de sang au passage. Quelques ficelles sont parfois, il est vrai, un peu grosses, mais il faut dire aussi qu’à l’époque actuelle, certains objets deviennent difficiles à utiliser. Par exemple, le téléphone portable est devenu problématique pour le scénariste ou le raconteur d’histoire de thriller, parce qu’il permet de se sortir de bien des situations, un coup de fil et un problème est réglé, il permet également de géolocaliser quelqu’un, de le retrouver ainsi facilement. Bref, c’est plus facile quand on n’en a pas. Peut-être qu’un jour, il faudra se pencher sur comment le thriller a dû s’adapter au téléphone portable, mais c’est un autre sujet.

Helena, c’est aussi, et surtout, un portrait d’une femme, qui n’est d’ailleurs pas celle du titre, et s’appelle Norma. C’est aussi une question forte, une question presque philosophique. Qu’est-ce qu’une mère est capable de faire pour ses enfants ? Jusqu’où est-elle prête à aller pour les protéger, même s’ils commettent l’irréparable ? Car Norma, habitante du Kansas, a trois enfants dont l’un, Tommy, est un serial killer en puissance ainsi qu’on le constate dès la première page du livre. Il a déjà un goût prononcé pour la torture des animaux, il convoite avec lubricité une camarade de classe, et ses pulsions deviennent de plus en plus incontrôlables. Bientôt, il va franchir le cap. Mais si son fils est comme ça, n’est-ce pas aussi en partie à cause de Norma, n’a-t-elle pas été la mère qu’il fallait ? Si elle dénonce son fils, cela risque de rejaillir aussi sur elle, ainsi que sur ses autres enfants, Graham, qui rêve de partir étudier la photo à New York et Cindy, dont Norma veut faire une mini reine de beauté. Leur vie ne sera plus jamais la même. Mais leurs vies pourront-elles encore rester les mêmes après que Tommy ait commis l’irréparable ?

S’il y a du Stephen King dans Helena, c’est peut-être non pas tant par le suspense que par la manière dont Jérémy Fel traite les personnages. Comme l’écrivain américain, il prend son temps, peut-être parfois trop. Le livre aurait sans doute gagné à être un peu plus resserré. Il investigue dans le passé de ses personnages, étudie leurs sentiments et leurs réactions jusqu’à devenir quasiment leur biographe, se donnant ainsi de nombreuses munitions pour développer une intrigue qui court sur plus de 600 pages. Malgré quelques petites longueurs, il parvient à maintenir une certaine tension. On le sent d’ailleurs, de plus en plus à l’aise au fil du roman, comme s’il fallait qu’il se décharge d’abord de toutes ses références et de ses passages obligés pour se « lâcher ». Il lui arrive même de dévoiler une certaine sensibilité et se montre particulièrement à l’aise dans les scènes avec « émotion ».

Au final, Helenaest un roman assez prenant, avec une écriture claire et précise qui cherche avant tout à raconter, et qui raconte bien, qui donne envie de savoir ce qui va se passer. C’est ce que d’aucuns pourraient qualifier de page-turner. On peut savoir gré à Jérémy Fel de s’en tenir à son objectif, de ne pas faire de l’esbroufe, du style pour du style, et en cela, c’est une incontestable réussite.

 

Yann Suty

 

Né à Rouen il y a une trentaine d’années, Jérémy Fel a été libraire avant de consacrer à l’écriture. Après Les loupes à leur porte publié en 2015 chez Rivages, Helena est son deuxième roman.

 

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A propos du rédacteur

Yann Suty

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Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock