Haut-Karabakh, Le livre noir, Eric Denécé, Tigrane Yégavian (par Guy Donikian)
Haut-Karabakh, Le livre noir, Eric Denécé, Tigrane Yégavian, CF2R, Centre Français de Recherche sur le Renseignement, éditions Ellipses, août 2022, 408 pages, 28 €
Une trentaine de personnalités reconnues répondent dans cet ouvrage au silence « assourdissant » de l’absence médiatique et internationale qui maintient une méconnaissance de la guerre qui a sévi au Haut-Karabakh, et du blocus actuel maintenu par l’Azerbaïdjan. Ce sont des comédiens, des essayistes, des universitaires, des religieux qui s’expriment pour s’indigner et alerter une opinion mondiale bien frileuse quant à ce désastre humanitaire, culturel… Si toutes les guerres sont « sales », certaines le sont d’autant plus qu’elles se font dans une indifférence coupable.
Rappelons les faits et le contexte. Le Haut-Karabakh, peuplé depuis des temps immémoriaux d’Arméniens, est une république auto-proclamée en septembre 1991, alors qu’elle dépendait de la RSS d’Azerbaïdjan jusqu’à la dislocation du bloc soviétique. Depuis, l’Azerbaïdjan n’a cessé d’en réclamer le retour en son sein, réclamation qui prit la forme armée en 1994 pour aboutir à une « victoire » du Haut-Karabakh. Depuis, les escarmouches aux frontières de ce petit pays de 150.000 habitants, voisin de l’Arménie, n’ont pas cessé, et en septembre 2020 l’Azerbaïdjan passe à l’attaque pour récupérer ce qu’il a perdu et anéantir cette république du Haut-Karabakh. La guerre est sanglante et Eric Denécé, ancien analyste du renseignement, fait le bilan des combats : ce sont environ 6000 morts qui sont à déplorer, et cet auteur dénonce l’utilisation de la putréfaction des cadavres par l’Azerbaïdjan comme arme bactériologique afin de contaminer les rangs adverses de maladies infectieuses que sont le choléra, l’hépatite-A, la dysenterie… L’agression azérie aurait pu être stoppée par le Kremlin, mais Poutine « a fait payer au Premier ministre arménien, Nicol Pachinian, le fait d’avoir essayé de s’affranchir de la tutelle de Moscou ».
Cengiz Aktar, politiste, dénonce, lui, la coopération militaire du régime d’Ankara avec Bakou, coopération qui a pesé lourd et qui continue de le faire dans la victoire de Bakou. « A partir de 2010, le régime d’Ankara s’est impliqué à tous les niveaux du système militaire azéri, de la formation des cadets à la nomination des haut gradés – y compris du chef d’état major –, de la vente d’armes à la mise en place des opérations tactiques et stratégiques comme on l’a vu lors de la dernière guerre du Karabakh. Cette guerre, poursuit-il, a consolidé la coopération militaire azéro-turque et a rendu pérenne la présence militaire d’Ankara en Azerbaïdjan. La Turquie tire certainement des bénéfices pécuniaires de cette présence ». Et Cengiz Aktar de conclure : « il me paraît quasiment impossible d’arriver à une quelconque solution tant que le régime actuel d’Ankara restera en place ».
Tigrane Yégavian, chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), fait le constat d’une haine distillée par le pouvoir azéri pendant de nombreuses années. « On le voit bien, des discours de haine contre les Arméniens ont été prononcés pendant de nombreuses années par de nombreux cercles officiels en Azerbaïdjan, il n’est donc pas surprenant que cela ait accru l’hostilité, les meurtres et plus tard les crimes de guerre contre les Arméniens. L’exemple le plus connu de crime raciste demeure le meurtre du lieutenant Gurgen Magaryan à Budapest en 2004 ». La victoire de l’Azerbaïdjan est célébrée à Bakou en décembre 2020 en présence du président Aliyev et de son homologue turc, l’occasion pour Aliyev de rappeler le caractère azéri de certaines régions pourtant historiquement arméniennes. Quant à Erdogan, lui de déclarer en mai 2020. « Nous ne permettrons pas aux terroristes survivants de l’épée dans notre pays de tenter de mener des activités. Leur nombre a beaucoup diminué, mais il en existe toujours ». Les survivants de l’épée, entendez par-là du génocide de 1915…
La romancière Marina Dédéyan rappelle les pogroms de Soumgaït, de Bakou, en 1988, 1990, c’était hier, les atrocités dont ont été victimes les Arméniens de ces villes sont récentes, et d’un autre âge… Et la romancière de s’exclamer : « Devrons-nous porter le IAN de nos noms de famille comme une étoile jaune ? ».
Cet ouvrage fourmille de rappels historiques, à l’instar de Igor Lazarev-Dorfmann qui montre en quoi « le legs du stalinisme est aussi responsable de la situation actuelle, situation dénoncée par le député Olivier Faure, par Sylvain Tesson, autant de personnalités diverses qui montrent aussi la responsabilité d’un occident muet ou presque, et d’Etats comme Israël pour ses drones meurtriers, de la Turquie et la Russie.
Guy Donikian
Eric Denécé a publié de nombreux ouvrages pour le CF2R aux éditions Ellipses, dont La géopolitique au défi de l’islamisme, en 2022, avec Alexandre Del Valle, et avec Benoît Léthenet, Renseignement et espionnage du Premier Empire à l’affaire Dreyfus, en 2021.
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