Guerre perdue, Pascal Boulanger
Guerre perdue, octobre 2015, 40 pages, 5 €
Ecrivain(s): Pascal Boulanger Edition: Passage d'encres
L’ordre du poème
La multiplicité du monde est transformée en visages biaisés par les miroirs des conteurs officiels de l’Histoire ? Ils donnent des directions douteuses aux tissus des vivants dont les pouvoirs ont déchiré l’existence. Aucune langue n’a été fondée sans une Histoire officielle. Elle prétend s’aventurer en direction du soleil nu. Mais jusque chez les peuples aux pieds nus et revêtus du seul étui pénien, le récit reste toujours le même. Si bien qu’à la question que pose Pascal Boulanger :
« En souffle dans des cornes de brume
les seuils succèdent aux deuils
que vaut la vie d’un homme ? »
la réponse est toujours la même : « rien ».
Ce qui n’empêche pas – bien au contraire – les effets de parures et de stèles. Nous naviguons en pauvres hères dans le corps des langages comme Bouvard et Pécuchet. Comme eux nous pensons triompher de tout ce qui est étranger au livre et lui résistons, en nous estimant (parce qu’on nous le fait croire) nous-mêmes le mouvement continu du Livre (à son sous-sol : les soubassements ironiques du Dictionnaire des Idées reçues) et ses deux possibilités : l’une décide la création du monde. L’autre énonce la connaissance du bien et du mal.
Tel est le bi-théisme du livre de l’Histoire. Il s’agit de deux lieux ou divinités très distincts. L’un crée un monde mauvais. L’autre modèle l’homme. Mais si le temps des livres a commencé avec cette guerre des dieux, l’Histoire reste la simple corollaire de la différence des mots et du défilé de marionnettes ouvrant sur toute une profondeur de visions emboîtées. A cela Pascal Boulanger propose son démenti. Contre la frénésie des récits qui toujours se rapportent au présent historique d’un temps et d’un pays, le poète s’élève contre la fureur du réel et des traditions mythiques.
Face à ce qui nous est (ra)conté par les narrations miroirs des pouvoirs qui prétendent nous guider dans leurs propres dédales, Pascal Boulanger désoriente les récits qui se superposent. Il en désamorce la charge de mensonges. Tout devient plus lumineux dans le visible, du plus sombre dans l’ombre. L’auteur n’est pas le premier : certains ont opté pour la dérision (celle du Quichotte par exemple). Mais pour l’emporter sur la « raison » des récits, Boulanger opte pour un autre horizon : le chant anti-lyrique, un chant lourd, à la façon du Chant ivre qui ponctue pour Nietzsche, dans le Quatrième Livre deZarathoustra : celui qui fait la part belle à la Fête de l’Âne et sa « queue de crapaud ».
Jean-Paul Gavard-Perret
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