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Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 29.08.22 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Rivages poche, Essais

Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo, Éditions Payot et Rivages, juin 2022, préfacier Andrea Schellino, 96 pages, 6,50 €

Edition: Rivages poche

Guerre aux démolisseurs !, Victor Hugo (par Gilles Banderier)

 

Comme Voltaire, Victor Hugo est en grande partie enfoui sous sa propre légende, dissimulé par sa propre statue. L’institution scolaire, à qui semble incomber le monopole de la survie des textes classiques, a réduit ses œuvres à deux ou trois livres (Les Misérables, Les Contemplations), même pas lus, encore moins étudiés, dans leur entièreté. Celui qui fait plus ou moins figure d’écrivain national français ne dispose pas de ses œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, sorte de canon semi-officiel de la « grande littérature ». L’édition donnée par Jean Massin et ses collaborateurs au Club français du livre, à la fin des années 1960, n’a pas été remplacée. Des merveilles s’y cachent parmi les sections les moins explorées.

On a rappelé, au soir du 15 avril 2019 et dans les jours qui suivirent, ce que Notre-Dame de Paris devait au roman éponyme de Victor Hugo, qui avait attiré l’attention du public sur ce monument alors délaissé, lui évitant le sort de bien des églises dont ne subsistent que des vues anciennes.

Mais Hugo fut, de manière générale, un défenseur du patrimoine et l’excellente anthologie, fort bien présentée et annotée par Andrea Schellino (un regret récurrent, toutefois : que les notes soient rejetées en fin de volume,) invite le lecteur à découvrir ce pan méconnu, mais extrêmement intéressant, de son œuvre. Hugo était né alors que s’achevait à peine la plus grande vague de destruction patrimoniale ayant touché le pays depuis les guerres de religion : la Révolution française, au cours de laquelle l’abbé Grégoire avait exhumé le nom d’une peuplade barbare oubliée pour forger le mot vandalisme. Dans chaque province, la vente, le trafic ou la démolition des « biens nationaux » avaient fait naître des fortunes (« Chaque jour nous brisons quelque lettre du vénérable livre de la tradition », p.29). La vague vandale ne s’était pas brisée avec la remise en ordre du pays et les « excès » révolutionnaires avaient fait naître toutes sortes de mauvaises habitudes (après 1820, des morceaux de l’abbaye de Jumièges partirent au Royaume-Uni pour embellir un domaine privé, anticipation sinistre des Cloisters new-yorkais) et un peuple ayant déterré les dépouilles de ses rois n’allait pas se laisser attendrir par de vieilles pierres (« Une église, c’est le fanatisme ; un donjon, c’est la féodalité », p.42). Dans Le Roi au-delà de la mer, Jean Raspail a récrit cette page hallucinante et hystérique. Au début de sa longue carrière littéraire et politique, Hugo campait du même côté idéologique que l’écrivain-voyageur et ce furent des périodiques légitimistes ou conservateurs qui accueillirent ses publications consacrées au patrimoine. Cependant, derrière le propos « patrimonial », on devine déjà le Victor Hugo héraut du peuple français, lorsqu’il déclare que les monuments en général et les églises en particulier font partie de l’héritage des plus humbles. Comme Raspail, Hugo dénoncera les dégâts causés à d’autres cultures par la colonisation européenne (en l’occurrence, la destruction du Palais d’Été, à Pékin, par les troupes de lord Elgin – un épisode des relations sino-occidentales que les Chinois sont loin d’avoir oublié).

Plus près de lui, Hugo fustige le saccage de Paris par ses propres édiles (« À Paris, le vandalisme fleurit et prospère sous nos yeux. Le vandalisme est architecte. Le vandalisme se carre et se prélasse. Le vandalisme est fêté, applaudi, encouragé, admiré, caressé, protégé, consulté, subventionné, défrayé, naturalisé. Le vandalisme est entrepreneur de travaux pour le compte du gouvernement. Il s’est installé sournoisement dans le budget, et il le grignote à petit bruit, comme le rat son fromage. Et certes, il gagne bien son argent. Tous les jours il démolit quelque chose du peu qui nous reste de cet admirable vieux Paris », p.37-38), un phénomène qui semble avoir repris de l’ampleur. Car la défense du patrimoine est un combat sans cesse recommencé, parce qu’une partie des « responsables » ne le considère que comme quelque chose d’inutile ou à l’extrême rigueur tout juste bon à alimenter le tiroir-caisse (le « Louvre » d’Abu-Dhabi) et les pages de Hugo n’empêchèrent pas, par exemple, la destruction du quartier médiéval du Pontiffroy, à Metz (une des rares villes de l’Est de la France à n’avoir pas subi de grandes destructions architecturales avant la seconde moitié du XXe siècle), par un maire soucieux de « progrès » et de faire aboutir l’autoroute directement au centre-ville.

« Ils ont toujours hanté l’Histoire, ces hommes-là qui se sentent, pour des raisons suffisantes à leurs yeux, investis de la mission de détruire le plus possible de ce qu’ont bâti les patients, les infatigables soldats de la civilisation et de la culture, parce qu’ils ont d’autres valeurs et adorent d’autres dieux. Telle est l’histoire de la civilisation : on construit, on détruit, on reconstruit siècle après siècle. Non parce que la civilisation progresse par bonds, mais parce qu’elle continue souterrainement son œuvre, alors même qu’elle semble anéantie » (Robertson Davies).

 

Gilles Banderier


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A propos du rédacteur

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).