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Griffes N°7 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 29.04.24 dans La Une CED, Les Chroniques

Griffes N°7 (par Alain Faurieux)

 

L’avenir de l’intelligence, et autres textes, Charles Maurras, 2018, Robert Laffont, Bouquins, 1280 pages, 32 €

J’ai mis du temps à venir à bout de ce gros pavé, mais en ces temps de « réévaluations » et réhabilitations, autant prendre le temps. Au nom des libertés de pensée et d’édition, de vieux monstres relèvent la tête, alors regardons les dans les yeux. J’aime bien Bouquins, le poids, la tenue en main des volumes. Celui-ci ne fait pas exception : édition soignée de textes et d’extraits, groupés par thèmes. Autobiographie, journalisme, poésie, pensée politique et engagement. Préfaces et mises en contexte. La chose est (bien sûr ?) pro-Maurras. J’ai commencé par les poèmes, essayant d’ignorer l’auteur. Belles constructions, culture évidente, mortellement ennuyeux. Des cendres plutôt que de la poussière. Le côté autobiographique (la Provence, Martigues & plus) est de son temps, et sans grand intérêt. La pensée Maurassienne est bien plus intéressante.

Imaginez ! Il suffit de remplacer Michelet par Bourdieu et les pages sont prêtes pour les tribuns de 2024, les langues régionales itou. La méthode ? Mettre en avant une réaction « de bon sens » face à un événement connu de tous, l’utiliser ensuite pour bâtir une sorte d’allégorie où les abstractions (pas même notions) remplacent l’objet initial. Vous avez dit Onfray ? Et quelle modernité de pensée en regard des derniers slogans agricoles ! Qu’importe que Maurras se trompe (souvent), ne conservons que l’acidité du verbe, la poigne de l’homme ! Car Maurras est homme de principe, au singulier : tout provient d’un seul mouvement, découle d’une source unique. Et c’est là l’intérêt de lire Maurras en 2024. Lorsqu’il écrit sur le « petit homme », sur les Français, il faut toujours garder à l’esprit (pas de problèmes, il nous le rappelle) qu’il s’agit là d’un terme excluant. Et il en exclut du monde notre Maurras. Ce n’est pas tordre ou déformer sa pensée que rappeler qu’au centre de toutes ses constructions existe une explication simple de la nocivité de la république. Celle-ci est bâtie et gérée par les quatre : les francs-maçons, les protestants, les métèques et les juifs. L’accent est souvent mis par ses défenseurs/repreneurs sur la distinction entre antisémitisme d’Etat et antisémitisme racial (l’un étant apparemment plus « noble » que l’autre…). Je crois plutôt qu’il s’agit au plus profond de l’homme d’un antisémitisme d’Essence. Une sorte de haine « sacrée ». Ce volume, par ses choix (accent mis sur sa germanophobie, positions sur l’Hitlérisme, large part accordée à la plaidoirie de son avocat au procès final), s’essaye même à plusieurs reprises à une tentative de « blanchiment » de l’homme. Sourd physiquement, son handicap aurait entraîné des erreurs de jugement dans des situations de stress ; lorsque sa haine du juif atteint des proportions grotesques, il est mentionné l’existence possible (probable ?) dans sa petite enfance d’un traumatisme, cause première de troubles psychologiques. Et ainsi de suite dirait Vonnegut. Ou comment ce qui ne sent pas bon aujourd’hui ne vient pas d’être évacué.

Bon, je n’irai sans doute pas jusqu’à lire Joseph de Maistre…

 

Trois vies par semaine, Michel Bussi, Les Presses de la Cité, 2023, 456 pages, 22,90 €

Bienveillance, bienveillance. Une madeleine au caramel et de la pluie depuis des jours, j’ai commencé ma lecture avec une bonne volonté à toute épreuve. Écriture quelconque et décors en préfabriqué, pas grave : Bussi est d’abord un raconteur. Un AUTRE prétendant au podium des auteurs français les plus vendus. Un géographe, nous rappellent ses critiques. Nous avons donc comme cadre une France entre le 13 h de TF1 et un manuel de CM2 années 80. De gentils assistants sous-payés ont dû réaliser de petites fiches sur la Lozère (le département le moins peuplé de France), les Ardennes (durs hivers), les cimetières parisiens, le Printemps de Prague, la Lituanie, le Mont-Saint-Michel. Ou alors juste un Google vite fait. Notre auteur a ensuite choisi. J’attendais, je suis naïf sans doute, une sorte de roman-feuilleton moderne. Un mélange de Rocambole, Bob Morane et Agatha Christie. Et je n’ai même pas eu un photo-roman vintage. Suspension d’incrédulité chez le lecteur ? Vous voulez rire ? Rien ne tient debout, même avec plus de bienveillance que mère Theresa. Passons vite les effets de « j’suis de mon époque » : Capitaine de gendarmerie bisexuelle blasée, jeune autiste branchée tech, libraire communiste homo, du viol, des mamans gestionnaires de gîtes ou gardes d’enfants difficiles. Les espoirs du début s’effondrent vite. Et de façon spectaculaire. Triple identité et marionnettes, vies multiples et manipulation, lecteur piégé par ce que l’auteur ne lui dit pas, beau programme. Mais voilà, dès que l’auteur en dit plus, il ferait mieux de reprendre sa copie. Outre l’absence totale (ménageons le lecteur) de profondeur psychologique des personnages, le simple enchaînement de leurs actions est absurde. Nous sommes sans doute tenus d’avoir oublié à la page 342 ce qui c’était passé page 310. Heureusement près de la première moitié du volume camoufle ce vide en sautant d’une « veuve » à l’autre. Heureusement des citations de Rimbaud, en gros, avec son nom en gros, donnent à l’ensemble une certaine classe. Heu… non. Il existe des aspects positifs : ce qu’il n’y a pas dans ces 400 pages. Pas de fautes de grammaire, d’orthographe ou de syntaxe, pas de racisme, de sexe, de violence, de lexique complexe ou d’opinions sur quoi que ce soit. Ce n’est pas mauvais, c’est pire. Gâchis de papier et de temps. Spoiler : même le titre est nul si on y réfléchit. Ne réfléchissez pas, évitez !

 

Les Yeux de Mona, Thomas Schlesser, Albin Michel, février 2024, 496 pages, 22,90 €

C’est quoi ce machin ? (Attention super spoilers)

Sans aucun doute un vrai repère dans l’histoire de l’édition : vendu partout, traduit en 30 langues ! Des tombereaux de lecteurs ! Des articles élogieux tout partout ! LE livre français qui connaît un succès mondial. C’est écrit en gros sur le bandeau, de la Fnac au Figaro, …alors même qu’il n’était pas encore publié en français. Ils sont grands les mystères du marché du produit-livre.

Et c’est vrai, c’est un livre exceptionnel : il y avait longtemps qu’un livre ne m’avait pas énervé autant. Que lui reprocher ? Tout. Simplement tout. Ne me parlez pas de suspension d’incrédulité, ou de convention avec le lecteur. C’est de la crédulité qu’il faut ici ; et les conventions sont bafouées à la queue-leu-leu. C’est construit plutôt qu’écrit. Le super-méga-burger. Centre mou, en italiques, les descriptions vulgarisant les œuvres. Couches deux et deux bis, les encadrant, des infos supplémentaires historico-sociologico-bateau. Couche trois, visites au musée et rencontres avec des couples d’amoureux ou une possible amoureuse (perdue en cours de route). Couche quatre, vie à l’école avec amies et amoureux possible(s). Tranche du dessous, papa alcolo-mais pas trop (c’est par sensibilité qu’on s’alcoolise dit l’auteur) et sa boutique de brocante (ça fait vendre à l’étranger), et maman bénévole pour des assosses. Tranche du dessus, héroïne en CM2 tirant vers la licence, pouvant perdre la vue et donc chouchoutée par un papy qui va lui faire découvrir une œuvre par semaine pour qu’elle en emmène le souvenir dans la grande nuit. On agrémente d’une gratinade de papy vraie France (blessures, maintien très digne, sens de l’honneur et des accords cravate/chemise). Rehausseur de goût Freudiano-fantastique : cécité née du refoulé détectée par un ophtalmo hypnotiseur cachotier, mamie combattante Macronienne (avant l’heure) de l’euthanasie, héroïne à l’œil absolu (et 18 sur 10 de vision !).

Schlesser est sans aucun doute persuadé qu’un lecteur moyen est très proche d’un CM2 et très fier de permettre à des millions de quasi-imbéciles d’approcher le monde autrement inaccessible de l’ART. Du prétexte-cécité au déroulé hebdomadaire des 52 visites en passant par l’écœurement des sentiments, tout ici pue le rance, l’enfilade de clichés en tant que figures imposées. Et, bien sûr, la chose finit par ce que nous appelons à la maison « Le dîner de sangliers » : tout le monde trinque jovialement, les cuissots brandis et la cervoise coule à flots. Ou équivalent.

Bien sûr il va s’en vendre des quadrillions.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.