Griffes 13 (par Alain Faurieux)
Jour de ressac, Maylis de Kerangal, Verticales, août 2024, 256 pages, 21 €
Jour de rabâchage pour Maylis (son nom est la meilleure chose du livre). Du polar transfiguré nous disent les critiques bavant d’admiration. Un mort au Havre (relié à la narratrice par un numéro de tel sur un ticket de cinéma), un retour vers le lieu du crime et de l’adolescence. Vers la jetée et la plage, la plage évoque les cailloux, les cailloux l’été 93 (ou 95, ou…), et ainsi de suite dirait Vonnegut. La narratrice regarde son passé… Pourquoi pas ? Malheureusement l’écriture est informe, on va d’un mot à l’autre, d’un registre à l’autre sans raison ou but ; à chaque ligne on s’énerve d’une tournure facile, d’une image ressassée, d’un vieil os resucé. On a constamment envie de barrer, corriger, annoter les erreurs et maladresses. Par exemple la présence du mot « jonction » :
« Nous sommes partis à l’imprimerie. De cette jonction nocturne, je ne me souviens que d’une impression de vitesse et de frais sur ma joue, nos vélos électriques remontant le canal dans la nuit de novembre, côte à côte sur la piste cyclable, puis au-delà de Stalingrad, le long du bassin de la Villette jusqu’à hauteur de la rue de Crimée derrière laquelle se trouvait la petite manufacture de Blaise ».
Ce livre ne dit rien, n’a rien à dire. Il ne tourne pas en rond, il s’enlise. Une narratrice sans prénom ? Aucun besoin : le JE est tellement présent qu’il arase tout autant le récit que les alliés ont pu le faire du Havre. Toutes les pistes – architecture, imprimerie, doublage de voix, enquête (non, pas vraiment) de police, sauvetage en mer, amours anciennes – mènent au même bourbier. Sans pour cela que le bourbier ait une quelconque valeur pour Maylis. Ou pour nous. Ou que ce soit un regard porté sur notre époque, ou un jugement, ou une prise de conscience. Répétons-le, ce livre n’est rien. Si je devais comparer ce livre à une œuvre musicale, ce serait plutôt à un courant musical : la New Age. Ça doit dire quelque chose sur les gens, la vie, ça va faire du bien. Non. C’est informe, vaguement translucide, vendu avec couverture et pitch positifs. Ça ressemble à plein d’autres trucs positifs, vaguement semblables et totalement interchangeables. Un point positif ? Sans aucun doute : comme MDK ne parle de rien, elle ne parle pas de commerce équitable, de véganisme, d’invisibilisation des femmes, de genre, de violence familiale ou d’inceste.
N’ouvrez pas !
P.S. Ai-je dit que tout le monde se fout complètement de comment ou pourquoi, sans même se demander par qui, « le mort » a été trucidé ? Pas grave, nous aussi.
Challah la danse, Dalya Daoud, éd. Nouvel Attila, août 2024, 256 pages, 19,50 €
Encore un livre de rentrée. Rien de méchant. Un premier livre. Une nouvelle génération d’auteurs régionaux pointe son nez ; pas George Sand ou Giono, non, plutôt Gallet et La soupe aux choux : « Lalla s’agitait devant un cuiseur qui annonçait un mesfouf aux fèves pour le déjeuner ». Et comme la soupe aux choux (le film), on est là dans les relents de quelque chose qui a déjà disparu, dans le fantasme d’un « c’était mieux avant », peu importe qu’il s’agisse d’une France des clochers et des bérets ou d’une immigration aux couleurs de carte postale.
Autre extrait quelconque, comme le reste, cherchez l’erreur : « Vincent avait dû reprendre à tout juste vingt-quatre ans la ferme de son père, Ange, brutalement décédé d’un AVC, un dimanche soir, au sortir de la salle de traite. Emma Chambon les avait depuis longtemps laissés en tête-à-tête, elle-même ayant succombé à un cancer des poumons le jour où Diana Spencer épousait le duc de Cornouailles. (…) Il n’avait pas encore fêté ses douze ans. (…) L’exploitation dont il avait hérité quinze années après comptait un cheptel de quarante vaches laitières, un verger de cerisiers et de pêchers, et des champs de fourrage… ».
L’écriture, très lotissement (préfabriqué, matériaux simples, entre-nous), permet de le mettre dans toutes les mains. Les mots des origines, Maroc, Algérie ou Tunisie, les accents et les déformations pittoresques sonnent juste et les vies aussi. Bien sûr c’est aussi excitant que la couverture (on dirait un manuel de chez Nathan pour les quatrièmes, sans arabes). Des phrases avec verbe et compléments, des chapitres courts et des dates pour mieux se repérer, et c’est suffisant. Lotissement et Village avec majuscules siouplait, et noms de famille sortis de chez Marcel Aymé ou Shahrazade. Ce sera une reconnaissance pour les « issus de l’immigration », un exotisme intérieur pour les autres. Mépris inconscient pour les uns et les autres ? Un premier livre qui sera un ajout parfait pour les CDI de Lyon et de Navarre. Pourquoi l’ai-je lu ? Peut être parce qu’en 1986 nous habitions au Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin ? Le lecteur cible, roi des espoirs éditoriaux, doit (obligation ou hypothèse ?) avoir le niveau des quatrièmes. Idéal pour une lecture intégrale de l’œuvre (Un tiers des pages suffit en fait, ce qui permettra d’éviter l’écueil du mot membre, qui a échappé à la relecture).
Prix, sûrement. Reste à voir lequel…
Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo, Grasset, août 2024, 264 pages, 20,90 €
Grosse vente. Belles critiques, unanimes. En lice pour plusieurs prix…
Autant commencer par le début : cette superbe couverture homoérotique qui me fait penser à Philip K. Dick. Figure messianique, projecteurs phalliques et titre accrocheur. O.K. L’auteur va ensuite passer tout son (fort mince) livre à nous dire que non, rien de tout ça. C’était juste pour le facing à la FNAC. Le contenu ensuite : Le Monde ou Libé vantent « la construction ». C’est bien le minimum pour un livre sur (ou sous ? On est dans la déconstruction) un architecte. Oui, sur Albert Speer, le beau nazi super élégant. Un peu oublié il faut dire, même si Juan Rivera Arroyo a obtenu le Premio de Novela Vargas Llosa 2020 avec le surprenant Un Dia. Première partie, déconstruction oblige, la chronologie est abandonnée au profit d’une sorte de Lego dont les pièces proviennent (avec modifications avouées ou non) des mémoires du susdit Albert, d’articles divers (principalement de celle que l’auteur nous fera rencontrer plus tard sous l’étiquette « L’Historienne ») et de rêveries perso. Quelques petites allusions, bien timides, au concept du narrateur peu fiable, quelques tentatives d’humour. Je préfère réécouter Comme un Lego lors du dernier concert de Bashung. Qui en dit plus en 6 minutes sur notre sort commun. Puis une partie sur l’Homme après la chute… prison, mémoires, célébrité et amitiés étranges. Puis (chaque partie de plus en plus courte) la rencontre avec l’Historienne, la mort (là j’avais décroché). Et on finit par quelques pages qui arrivent presque (est-ce l’intention d’Orengo ?) à justifier le tout en justifiant le projet de notre auteur.
J’ai dit presque. Parce que j’ai trouvé l’écriture d’Orengo insuffisante : si son projet était de dénoncer/démonter/décrire un mécanisme de falsification historique incroyable, il est loin du compte. La première partie montre un recul certain par rapport au « récit » fabriqué, mais ce recul n’entraîne qu’une sorte d’aplat où tout se confond. Pour un auteur qui parle beaucoup de contrastes c’est dommage. Malgré les dernières pages (dignes d’une interview pour magazine de mode), on a l’impression que le lecteur ne peut que finir par adopter un point de vue (Images du Monde) superficiel, se dire que finalement l’Architecte, le Guide, la guerre, tout ça, c’est bien malheureux ma pov’dame. Ils mangeaient trop gras, vulgaires et plutôt foutoir : c’est bien fait qui z’aient perdu la guerre. Et que l’Architecte ait menti sur le sort des Juifs (ou sa connaissance de), c’est comme ça, c’était il y a longtemps, et puis… Le lexique est souffreteux et le choix des mots quelquefois malheureux (« Elle possède l’empathie »). Rajoutons à cela une pratique de plus en plus courante chez les éditeurs : une mise en page qui gonfle à outrance l’objet livre. Il y a quelques années j’avais bien aimé HHhH qui jouait avec son lecteur et un moment proche dans l’Histoire.
Là j’ai souffert. N’ouvrez pas !
Alain Faurieux
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