Great Jones Street, Don DeLillo
Great Jones Street, 304 pages, 22 €
Ecrivain(s): Don DeLillo Edition: Actes SudPlus de 30 ans après sa publication, Actes Sud réédite le livre de Don DeLillo, Great Jones Street.
Bucky Wunderlick est une rock-star au sommet de sa gloire. Subitement, il décide d’abandonner son groupe en pleine tournée et de disparaître. Homme public, il aspire à une vie privée et se réfugie dans un petit appartement miteux sur la Great Jones Street du titre, dans l’East Village new-yorkais.
« Tu es sorti de ta légende pour te mettre en quête d’une liberté personnelle ».
Mais personne n’entend le laisser tranquille.
Le « pouvoir » de Bucky augmente. Plus il passe de temps dans l’isolement, moins il fait parler de lui, et plus il existe dans les médias et dans l’esprit du public. Sa présence devient encore plus intense que lorsqu’il arborait son costume de rock-star et écumait les scènes.
Les rumeurs vont bon train. Alors qu’il reste enfermé dans sa chambre à New York, il est aperçu dans différents endroits du monde. Certains l’auraient également vu donner des concerts.
Bucky en vient à changer de statut. Plus qu’une rock-star, Bucky apparaît comme un messie en herbe, un porte-parole, quelqu’un qui pourra donner aux gens du sens à leur vie. On attend de lui qu’il parle, qu’il délivre son message.
« Les gens guettent et attendent soit un retour de ta part à ton ancien moi, soit l’apparition de quelque chose de nouveau qui fera exploser le hit-parade ».
A moins que les gens n’attendent simplement sa mort, comme si c’était l’issue normale pour une rock star.
« Peut-être l’unique loi naturelle régissant la célébrité véritable, est-elle que l’homme célèbre se voit, à la fin, contraint de se suicider ».
Bucky voulait être tranquille, mais il ne le sera pas. Il voulait devenir invisible, il n’en sera que plus présent. Ainsi, les visites dans son refuge de Great Jones Street se multiplient.
Il y a le voisin, l’écrivain, Fenig. Globke, son manager qui rêve d’un retour triomphal, surtout d’un point de vue commercial. Azarian, un membre du groupe qui lorgne sur sa place de leader. Opel, son (ex ?) petite amie. Mais il y a aussi la concierge qui cache un fils à la tête difforme et que son père avait essayé de vendre comme attraction de fête foraine. Et un mystérieux paquet et un non moins mystérieux dealer au nom de soda, Dr Pepper.
Œuvre de jeunesse de Don DeLillo, Great Jones Street est (sans doute) d’abord réservé à ses admirateurs.
On y retrouve les thèmes fétiches de l’œuvre qu’il développera par la suite. La théorie du complot, la relation entre l’art et l’argent, la place de l’individu enfermé dans le rôle qu’il joue pour la société, la décadence urbaine.
Comme chaque ouvrage, c’est brillant. Une vraie intelligence transparaît derrière chaque ligne. L’auteur ne se contente pas de raconter une histoire. Il pense dessus, essaye d’appliquer des modèles théoriques, de réfléchir. Ce qui a pour contrepartie de le rendre parfois un peu froid et de brider l’émotion. Les personnages sont parfois trop signifiants, ils viennent dire quelque chose, ils représentent une idée, un point de vue.
Great Jones Street porte les prémisses de la grande œuvre de Don DeLillo. Il y a déjà dans ce livre un peu des Noms, d’Outremonde ou de Libra, autant de monuments de la littérature.
Yann Suty
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