Grayson Perry, Vanité, identité, sexualité, Camille Morineau, Lucia Pesapane (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Grayson Perry, Vanité, identité, sexualité, Camille Morineau, Lucia Pesapane, Editions Lienart, octobre 2018, 200 pages, 29 €
Le stéréotype et son contraire
Grayson Perry et « Claire » (son double féminin) sont à Paris. L’artiste qui se définit comme « motard, travesti, issu de la classe ouvrière et qui s’en est plutôt bien sorti » utilise le textile et la poterie – arts féminins – pour s’opposer à ce qui résiste dans le monde de l’art admis. Son livre permet d’approfondir ce qui est le cœur de l’œuvre présentée pour la première fois en France en institution muséale.
A la Monnaie de Paris sont présentées diverses tenues de « sa » Claire, puis les objets qu’il fabrique avec la céramique, le bois, le métal, la tapisserie, en cherchant toujours ce qui est le plus dénigré dans l’art. L’artiste et auteur ne cherche pas forcément plus l’originalité que la diffusion. Néanmoins à travers ces travaux, il impose ses idées sur le genre, l’identité et la société anglaise. Et Camille Morineau comme Lucia Pesapane insistent néanmoins sur le caractère inédit des images complexes et puissantes
Existe chez l’auteur un brio technique redoutable à travers différents médiums convoqués afin de renverser les codes de la virilité. Dans les superpositions de Perry, tout tient et compose de véritables histoires sociales au sens large. Ses tapisseries sont moins convaincantes. Elles sont sans doute mal exposées à Paris et plus séduisantes dans le livre où son fameux ours en peluche devient le totem humoristique de son travail.
Celui qui est aussi architecte crée dans ce domaine la même excentricité chaotique et fondamentale qui ramène « l’intellectuel à l’organique » par son artisanat bien compris. L’œuvre comme le rappelle Camille Morineau pose des questions sociétales et sociales importantes. Et pour Perry, « Claire » (« son » travesti) garde son importance. Il fait de lui un « homme qui aime porter des robes ». Cela ne le métamorphose pas en transsexuel mais redéfinit la masculinité.
Cette exposition et ce catalogue permettent de définir l’excentricité d’une mythologie personnelle qui se voudrait universelle. L’artiste le défend en la réinventant avec plus de plaisir que de révolte ouverte. Il souligne aussi l’affaiblissement d’une certaine culture tout en proposant une critique de celle où nous vivons.
Pour ce travail de mémoire, la fiction est choisie en lieu et place de la biographie. Mais le livre permet de mieux comprendre que le choix de la romantisation permet de souligner combien la vie de l’artiste se veut un conte. Pour le montrer, les trois auteurs font preuve d’un souci parfais du timing, de l’analyse et de la narration. Ils font éprouver un viatique dont le néant ne fait pas partie. La situation de l’artiste comme la façon de la raconter soulignent une universalité non commune sans doute mais qui existe bel et bien.
Existe en conséquence dans la trilogie « Vanité, identité, sexualité » une manière de vaincre les idéologies qui appellent à l’exclusion. Souvent les idées reçues sont des animaux bien gras et l’élémentaire humanité bascule. Le travail de Perry en devient un contre-feu, un moyen de casser les murs pour laisser voir ce qui se passe à l’intérieur.
Les deux analystes (directrice du Musée de la Monnaie de Paris, et Curatrice de l’exposition) de l’œuvre soulignent son importance et sa nécessité. Elle reste un sujet politique et sensuel de révolte, d’anarchie, de rituel d’incarnation. Perry mélange le chaos et l’ordre, la perte de maîtrise mais l’envers de l’aliénation par « élévation ».
Il n’est donc pas jusqu’à l’écriture critique d’appeler à une œuvre qui renforce le désir, prolonge l’attente et augmente l’impatience pour le moment où ce qu’on appelle l’art ouvre le banc en prouvant que l’érection n’est pas affaire d’hommes (et ce n’est pas « Claire » qui dira le contraire). Existe un gai savoir. Il tourne autour de la figure du phallus moins totem que jamais, non sans humour dans ce qui tient d’une fable.
Les préjugés sociaux et les clichés d’une époque sont mis à mal avec humour et alacrité. Certains reprochent à Perry son manque de propositions constructives. Ce n’est pas forcément son problème et il faut se laisser aller à savourer ce pied de nez au monde de l’art en une quête plus intérieure qu’extravagante et à travers les « cartes » que le territoire de la Monnaie de Paris impose et que le livre cimente.
Jean-Paul Gavard-Perret
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