Gouverner au nom d’Allah, Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Boualem Sansal
Gouverner au nom d’Allah, Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, novembre 2016, 182 pages, 5,90 €
Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Folio (Gallimard)
Algérien, Boualem Sanlal consacre le premier chapitre de cette étude historico-sociologique à montrer comment « des prédicateurs discrets », pour la plupart des Frères Musulmans censurés dans leur propre pays, mais aussi des wahhabites « diligentés par l’Arabie Saoudite » se sont glissés, à la faveur d’un renouveau nationaliste et d’un sentiment général anti-occidental, dans toutes les couches d’une société algérienne en pleine reconstruction.
L’auteur donne ensuite une vue d’ensemble détaillée de l’Islam et du monde musulman, permettant au lecteur d’y voir un peu plus clair dans la définition des termes dont usent et abusent souvent sans discernement les médias d’une part et tout un chacun voulant aborder ce sujet complexe d’autre part.
Qu’est-ce qui différencie le musulman « ordinaire » du fondamentaliste, ce dernier de l’intégriste, du salafiste, du djihadiste ? Quand parler d’islamisme, de fondamentalisme, d’intégrisme, de salafisme, d’islam politique, d’islam radical ?
« La confusion est totale lorsque, en plus, et c’est ce qu’on fait souvent, on accole à ces mots d’autres vocables tels que wahhabite, sunnite, chiite, etc. On comprend qu’avec une telle profusion de mots d’aucuns en viennent à faire des amalgames, dont le plus préjudiciable de tous est de confondre l’islam, religion brillante et respectable s’il en est, et l’islamisme, qui est l’instrumentalisation de l’islam dans une démarche politique, voire politicienne, critiquable et condamnable ».
La clarté de ces prolégomènes fournit les clés nécessaires à l’entrée dans le vif du sujet : l’islamisme. Dans le chapitre qui suit, intitulé L’islamisme dans le monde, constats et interrogations, Boualem Sansal met en évidence le caractère paradoxal de l’expansion de la religion musulmane dans un monde où l’actualité montre quotidiennement les aspects repoussants et abjects de l’islamisme. Il en définit les causes, et expose les représentations, de plus en plus répandues, qui tendent à confondre islam et islamisme, ici dans des amalgames globalement négatifs, là dans l’arrivée au pouvoir dans un certain nombre de pays de l’islamisme sous ses différents avatars avec des résultats qui peuvent apparaître comme positifs car porteurs de progrès sociaux, scientifiques, économiques, l’exemple le plus visible en étant l’Iran.
L’auteur cite également la Turquie en ces termes : « La Turquie est même reconnue comme élément de stabilisation de la région. A son propos, on se pose cette question formidable : la Turquie est-elle en train de moderniser l’islam ou est-ce l’islam qui l’a sortie pacifiquement de la dictature militaire… ? », sans savoir, et pour cause, au moment où il rédigeait cette étude, que ce pays deviendrait bientôt un élément de déstabilisation de la région et sombrerait dans une dictature aucunement pacifique.
L’auteur définit ensuite les vecteurs de l’islamisme que sont les courants religieux radicaux, les Etats musulmans, certaines élites intellectuelles et un certain nombre d’universités, et, de toute évidence, les médias, que maîtrisent parfaitement, et cela n’est pas d’hier, par exemple les Frères Musulmans.
Ainsi les mouvements islamistes disposent « d’un formidable réseau de maisons d’édition qui leur permet de produire des quantités colossales de livres, de manuels, et de corans qu’ils distribuent quasi gratuitement dans l’ensemble du monde musulman… ».
« Avec la radio, les cassettes audio-visuelles, puis la télévision et Internet, les islamistes disposent aujourd’hui de l’ensemble des moyens pour faire circuler leurs idées et leurs mots d’ordre. L’efficacité d’une télévision comme Al Jazeera […] n’est plus à démontrer ».
A ces armes de diffusion massive, l’auteur ajoute cette formidable caisse de résonnance qu’est « la rue arabe ».
Un facilitateur supplémentaire de la propagation funeste des thèses islamistes serait, selon Sansal, l’échec relatif des politiques d’intégration dans les pays d’accueil des immigrés musulmans.
L’auteur resitue ensuite, dans un autre chapitre, la question de l’expansion de l’islamisme dans le contexte trouble d’un monde qualifié d’arabe, ce « monde virtuel à la recherche d’une identité et d’un avenir ». Pourquoi ce qualificatif « virtuel » ? Sansal insiste ici sur l’artificialité d’une communauté musulmane se revendiquant d’une identité « arabe » qui n’existe pas, et sur la confusion générale, volontaire, des termes « arabe » et « musulman », dans l’objectif plus ou mois avoué de tenter d’occulter les incommensurables disparités ethniques, linguistiques, culturelles qui distinguent les seules toutes petites zones géographiques pouvant être dites réellement arabes et l’immensité du reste du monde musulman berbère, africain, perse, turc, indonésien, européen, afghan, druze, kurde, des états turkmènes d’Asie centrale, etc.
On lira avec intérêt, par ailleurs, l’article qui clôt ce chapitre, sous le titre Les jeunes et les femmes, otages perpétuels du monde religieux…
Enfin l’auteur se penche sur les politiques des pays occidentaux par rapport à l’islamisme.
« Il est trop tôt pour en décider, mais il semble que l’islamisme est d’abord un problème pour l’Occident dont il dénonce violemment les valeurs et qu’il attaque dans ses intérêts, bien que, pour le moment ce soit aux siens, aux musulmans, qu’il fasse le plus de mal… »
Voilà un ouvrage dont la lecture est nécessaire pour qui veut quelque peu démêler cet écheveau complexe, disparate, contradictoire, voire incohérent de l’islam et de l’islamisme dans un monde où les valeurs démocratiques sont mises en question et en péril quant à leurs fondements philosophiques et leur caractère un temps considéré comme universel.
Patryck Froissart
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