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Gazoline Tango, Franck Balandier

Ecrit par Pierrette Epsztein 25.08.17 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Le Castor Astral

Gazoline Tango, août 2017, 288 pages, 19 €

Edition: Le Castor Astral

Gazoline Tango, Franck Balandier

 

 

Cet extrait du nouveau roman de Franck Balandier, Gazoline tango : « …Comme pour Dieu, comme pour tout le monde ici, personne n’existait vraiment à la cité des peintres. Alors, on s’inventait sa vie. On la repeignait. En rose de préférence… Il n’y avait plus de place dans le coin pour la nostalgie, ni pour la poésie et la douceur qui allait avec » donne bien l’atmosphère du récit.

C’est la tâche du romancier d’inventer. Alors l’auteur va s’y atteler, en traquant la réalité de ce monde tout en brodant sans vergogne autour. Et surtout en la concentrant en un lieu d’une banlieue oubliée de tous, autour d’une galerie de personnages tous plus pittoresques et hors normes les uns que les autres. Le titre du roman est emprunté au nom de l’orchestre rock féminin dont fait partie la mère du héros de cette histoire de bruit et de fureur.

L’action se déroule dans cette cité du Val-d’Oise, située bien au-delà du périphérique, en bordure d’une voie ferrée où les trains filent à vive allure vers des lointains enchanteurs qu’aucune personne du coin ne connaîtra jamais autrement qu’en songe. Mais on a perdu l’habitude de rêver à « des conneries mais des conneries qui faisaient vivre », dans ces années 1980. 1968 est loin et les utopies ne sont plus de mise. On est en plein mouvement punk, on est dans le « no future ». Sans plus aucune illusion sur la possibilité de lendemains qui chantent.

Benjamin Grangier est le personnage central de cette épopée sans action héroïque ni merveilleux. Sa mère, prise au dépourvu par sa naissance, a choisi, au hasard du calendrier, Donald comme second prénom, ce qui lui vaut bien des railleries de ses congénères. Ce gamin est né sous le signe du disfonctionnement. Aucune fée ne s’est penchée sur son berceau. Quand on est doté d’oreilles qui ne supportent aucun bruit, ce n’est vraiment pas de chance d’avoir une mère batteuse dans un groupe de rock féminin qui joue une musique de sauvage. Le monde des adultes est pour lui empli de mystère, il lui est souvent incompréhensible. Il prend tout langage imagé au pied de la lettre et cela lui rend leurs échanges glauques, souvent inquiétants. Mais, au fil des années, il compense ses manques par une imagination sans bornes. Son oreille entend les sons en couleurs. Cette capacité porte le beau nom de synesthésie.

Autour de lui, gravite une multitude de personnages plus déjantés les uns des autres. Sa mère, Isabelle, est la batteuse de ce groupe rock féminin qui donne le titre au roman. Il pratique un « show érotique ». Elle n’a pas eu de chance, son grand amour a disparu après l’avoir engrossée, et depuis, elle est abonnée à des hommes de passage, plus coutumiers de la violence que de la tendresse. Fatima est la bassiste, Daisy est la chanteuse aux seins aguicheurs, c’est elle qui donne au groupe sa tonalité érotique et hérétique. Elle offre ses charmes et attire ainsi le public. Tiffany est la rythmique. Elle fuit dans les substances illicites pour oublier la monotonie des jours. Mais le succès du groupe est tout relatif. Toutes les quatre « ont grandi dans la cité, rue Cézanne dans une tour ». « Leurs chagrins d’amour, elles se les inventent. Elles n’ont jamais pleuré ».

Et puis, il y a toute une série de silhouettes qui traversent le récit, tous les comparses de la cité, qui n’ont jamais appris la tendresse et qui vivent en « naufragés de la vie », dans la débrouille et dans la violence faute de trouée de lumière.

Heureusement, Benjamin va rencontrer sur sa route chaotique des alliés qui lui permettront de supporter sa vie. Le premier est Isidore, « un grand noir baraqué, originaire du Sénégal, un passeur de poésie ». Puis, il y a sa femme, Yolande, qui l’a épousé pour qu’il ait des papiers. C’est une éternelle bénévole qui « se consacre à faire le bien » et se voue à toutes les causes perdues. Vient ensuite le père Germain, un curé bien étrange et peu orthodoxe. C’est lui qui permet au groupe de répéter « dans la salle du catéchisme ». Mais la plus présente, c’est Lucienne, la vieille un peu sorcière qui vit dans le dernier vestige d’un monde disparu, la maison du garde-barrière. Elle a résisté jusqu’au bout de sa longue vie aux promoteurs voraces « en cultivant l’herbe qui fait rire » et en alimentant généreusement toute la cité. Elle va être la nourrice de Benjamin. Par ses récits elle devient la mémoire du lieu, dernière témoin des transformations du quartier. Enfin, il y a ses rencontres amoureuses : Lola, l’amour adolescente, l’enfant du voyage, qui sera son bel amour éphémère. Elle est fille du vent, liberté en route, et Noémie sera celle qui lui apprendra à dessiner une langue silencieuse dans l’espace et lui ouvrira les portes de la fidélité.

Franck Balandier, même s’il n’est pas dupe et qu’il avertit que le pouvoir de la littérature est dérisoire, nous met face aux nombreux dérèglements de notre époque et les explore avec un goût du détail qui fait que la moindre silhouette qui traverse le parcours du roman prend sous sa plume, trempée dans l’acide ou « le bleu des mers du Sud », un relief étonnant.

Il use d’une écriture d’un romantisme noir où se mêlent l’humour ravageur, la lucidité, la cruauté, la tendresse aussi. Même si le langage est lui aussi dérisoire, jamais Franck Balandier ne pose un regard dédaigneux ou méprisant sur ses personnages. Il les croque tels qu’ils sont, sans porter sur eux aucun jugement moralisateur. Parfois, la lumière est crue, le regard désabusé, parfois, elle se tamise d’un bouquet de poésie.

Le livre est découpé en plusieurs actes qui portent des noms de partitions musicales. De Bach ou de Mozart, comme si l’auteur aspirait à donner à son ouvrage la dimension d’un oratorio baroque.

Souvent, l’auteur va naviguer entre le « je » et le « il » selon que le héros se place au centre ou à la périphérie de l’énoncé.

« Les souvenirs, ça s’invente quand on n’en a pas ». C’est seulement quand le lecteur boucle le livre qu’il comprend pourquoi les paroles sans dialogues sont typographiées en italique. En fait, c’est Benjamin qui devient le narrateur de toute cette histoire dans un long flashback.

Le héros de l’histoire serait-il un Icare inversé ? L’exploit d’Icare sera de chercher à atteindre le soleil, quitte à s’y brûler les ailes. Celui de Benjamin, pour compenser son handicap, sera de chercher son Eden dans les profondeurs des eaux, où le silence règne. Un jour, au loin, il plongera si profond qu’il en perdra totalement l’audition.

Qu’est-ce qu’une vie normale ? Quand la vie telle qu’elle va est trop insupportable, qu’on est revenu de tout, alors, quelles solutions sont possibles ? Se réfugier dans la rêverie, fuir dans les substances illicites ou tout tourner en dérision. Mais surtout ne jamais se résigner. Chacun des personnages connaît surtout l’urgence de vivre. La vie les griffe, la vie les mord et les dévore mais ils tentent de se trouver des raisons pour continuer leur chemin jonché de broussailles et ne jamais plier l’échine. Et quand la démolition des tours de la Cité des Peintres sera irrémédiable, tout ce microcosme s’effondrera en même temps qu’elles, le peu de solidité qui y perdurait éclatera et tous les protagonistes encore vivants se disperseront aux quatre vents. Leur vie sera-t-elle meilleure pour autant, pourront-ils « la repeindre en rose » ? Le roman se garde bien de donner une quelconque réponse.

La vision que Franck Balandier pose sur ce petit monde n’est finalement jamais désespérée, elle est juste délicieusement irrévérencieuse. C’est ce qui fait tout le sel et le charme de cette lecture. Le lecteur est irrémédiablement envoûté et pris dans les mailles de ce récit à la fois exotique, singulier et truculent.

 

Pierrette Epsztein

 


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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Membre du comité de Rédaction

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d'édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset

 

Pierrette Epsztein vit à Paris. Elle est professeur de Lettres et d'Arts Plastiques. Elle a crée l'association Tisserands des Mots qui animait des ateliers d'écriture. Maintenant, elle accompagne des personnes dans leur projet d'écriture. Elle poursuit son chemin d'écriture depuis 1985.  Elle a publié trois recueils de nouvelles et un roman L'homme sans larmes (tous ouvrages  épuisés à ce jour). Elle écrit en ce moment un récit professionnel sur son expérience de professeur en banlieue.