Françoise Sagan, ma mère, Denis Westhoff
Françoise Sagan, ma mère, novembre 2012, 224 p. 35 €
Ecrivain(s): Denis Westhoff Edition: FlammarionDe Quoirez à Sagan : des images au-delà des clichés
La vie et l’œuvre de Françoise Sagan ont souvent, trop souvent été réduits à des clichés. Alcool, drogue, voitures, vitesse, jeux, argent, amis… Bien sûr, s’ils ont la peau dure, c’est que l’écrivain les a elle-même nourris, malgré elle, parfois. Les stéréotypes saganesques ont cela de fascinant qu’ils sont tout à la fois ceux auxquels on l’a réduite et contre lesquels elle ne s’est jamais véritablement défendue, ou de manière timide, amusée, légèrement agacée, au pire.
Les clichés photographiques ici donnés à voir, à lire ne démentiront pas cette image. Françoise Sagan a en effet eu cette enfance bourgeoise non dénuée cependant d’une certaine originalité due notamment à la figure paternelle. Les liens familiaux étaient solides et l’intimité qu’elle noua avec son frère Jacques ne fut jamais démentie. Elle a très tôt été happée par la littérature. Stendhal, Proust, Camus ou Sartre furent ceux pour lesquels elle voua une véritable admiration. Elle connut la gloire à vingt ans mais la vécut sans jamais la prendre au sérieux, avec un certain détachement, une ironie qu’incarnent si bien certains de ses personnages. Oui, elle aima les voitures et ce, dès son plus jeune âge, comme prédisposée…
« Je crois que la passion que ma mère éprouva pour les voitures lui a été transmise par son père. Dès qu’elle eut sept ou huit ans, il la laissait monter sur ses genoux pour qu’elle puisse tenir le grand volant entre ses mains ».
Et cette passion lui fit côtoyer de très près la mort, sur une route de Milly-la-Forêt. Elle aimait le jeu, les casinos, l’ambiance qui y règne. Elle misa tout, à plusieurs reprises, sur un numéro ou sur un cheval. Peut-être parce que selon ses propres mots « les joueurs sont surtout des enfants » et qu’elle n’eut jamais l’impression de sortir de cet âge. Elle toucha à tout : le roman, bien sûr, mais aussi le théâtre, le cinéma, la chanson. Avec des succès divers. L’écriture était pour elle « un plaisir inexplicable » mais aussi un effort « d’humilité effrayant », comme en témoignent les photographies de « scènes d’écriture » : écrire « C’est comme marcher dans un pays inconnu et ravissant. Ravissant mais parfois humiliant quand on n’arrive pas à écrire ce que l’on veut. Là, c’est la petite mort, on a honte de soi, on a honte de ce qu’on écrit, on est minable. Mais lorsque ça “prend”, c’est comme une machine bien huilée qui fonctionne parfaitement. C’est comme courir cent mètres en dix secondes ». Il y avait ses amis, Jacques Chazot, Michel Magne, Florence Malraux, Peggy Roche… Ils comptèrent beaucoup pour Sagan, ils étaient ses « gardes du cœur »…
Mais les images ici rassemblées donnent aussi à partager des moments plus intimes, plus rares. Françoise Sagan mère, Françoise Sagan femme, Françoise Sagan seule… Françoise Quoirez, en fait. Le masque tombe même si elle n’en porta jamais. Ou peut-être en porta-t-elle parfois pour se conformer à sa propre image. Par paresse ou par intelligence. C’est tout pareil, de toute façon. C’était là le défi de son fils. Ne pas aller contre la légende, ce serait vain et sûrement pas souhaitable. Mais révéler, au sens photographique du terme, son au-delà, ses à-côtés : restituer « une femme – et une mère – aimante, attentive, généreuse et éprise de liberté ». Les photographies sont doublement mises en écho. Avec des extraits de romans de Sagan ou des entretiens qu’elle donna (1), mais aussi avec les commentaires de son fils qui les restitue dans leur contexte, dans leur temps. Comme pour faire de ces photos davantage que des clichés. Des souvenirs. Les souvenirs d’un fils attaché à sa mère et qui lui rend par là le bel hommage qu’elle mérite incontestablement.
Arnaud Genon
(1) Ces entretiens furent rassemblés dans deux recueils. Réponses, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 et Répliques, Quai Voltaire, 1992.
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