François Ier, Roi de France, Roi-Chevalier, Prince de la Renaissance française, Max Gallo
« Mon Dieu que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je déplu de m’avoir fait celui par lequel la chrétienté pouvait demeurer en repos » (p.349). Quand l’histoire surgit aux trois-quarts des présomptions, des états de conscience et du dialogue intérieur de ceux qui y prirent part, sa reconstitution ne saurait dépendre uniquement du recensement des marques physiques laissées par eux dans le marbre. Chambord ou Chenonceau ne sauraient de cette manière témoigner d’un savoir de bâtisseur glorifiant à jamais la pierre et sa sculpture éblouissante en-dehors de tout projet humain. Par extension, reconstituer l’agencement des temps anciens ne peut se réduire aux réassemblages de pièces mécaniques exhumées par l’archéologie pour remettre en action virtuelle la machine des déroulements antérieurs. Il nous est indispensable de connaître l’âme de ceux qui en furent les concepteurs et les agenceurs. Habile sous cet angle et pour donner un sens aux extractions, dans le rôle d’un dénicheur de latences et décrypteur de filigranes, dans l’emploi délicat du littérateur-rassembleur doublé de l’historien à la connaissance solide, Max Gallo s’inscrit sûrement parmi nos précieux analystes et rapporteurs actuels de la trame du temps. Il est pourtant celui à qui certains puristes de « science froide » reprochent parfois sa propension lyrique et narrative, sous ce pli, le détournement d’un genre ou encore ses distances prises avec les institutions sacrales du « vrai de la discipline ». N’est toutefois pas qui veut, ni académicien ni maître de plume, a fortiori passeur de mémoire !
Intime, sensuel, emporté, imbu de lui, chasseur invétéré et guerrier souvent aveugle et entêté mais modeste face à Dieu, fasciné par la beauté des arts, par là assez manifestement sensible aux valeurs de la nature humaine, le François Ier de Max Gallo apparaît rapidement sous sa plume en très vivant être de chair. S’impose bientôt ainsi, l’héritier fébrile d’un pouvoir qui ne lui était pas absolument promis, un accédant au trône volontaire, paradoxal et encombré, en cela un souverain à la fibre authentique. C’est ainsi qu’au plus près des rudes épaules de ce gaillard à la stature colossale mais aux fragilités d’Achille, on suit et partage dans une proximité constante et réaliste le destin omni-turbulent d’un roi français qui éleva il y a cinq siècles – peut-être en partie à son insu et grâce aussi à un fortuit jeu chiffré du calendrier chrétien –, Marignan en perdurant label de « grandeur » nationale. Chut…, ne le répétez surtout à personne !…
En pensant tout d’abord au charisme d’une Aliénor d’Aquitaine, ensuite, et par exploration de la diversité, en songeant encore à la représentation singulière d’une Hildegarde de Bingen, on peine à croire que le moyen âge occidental sera resté aussi copieusement privé de femmes au caractère trempé tel l’acier tout droit sorti du laminoir. Soit en raison d’un exclusif transcrit de clercs qui censurèrent a priori avec constance le rôle féminin sans vocation canonique durant cette longue période, soit encore parce que l’écrit civil attendait tout simplement son explosion libératrice, l’illustration féminine après Jeanne d’Arc trouva indubitablement une meilleure place dans la traduction écrite dès au temps venu de la Renaissance. S’agissant ainsi de l’affirmation d’un tempérament des plus marqués dans l’entourage de François Ier, Max Gallo ne se trompe sans doute pas à souligner le cas de l’atypique Louise de Savoie. Etonnante mère aux prières intrigantes et aux spéculations menées pour la gloire de son fils, la future régente du royaume de France n’aura en effet pas été que simple génitrice et pourvoyeuse de soins infantiles majestueusement prodigués à son protégé. Elle se commua bientôt en véritable stratège et conseiller politique mobilisé pour sa cause. Par transposition sur lui de ses ambitions propres, l’avisée matriarche n’avait-elle pas imposé d’entrée son fils comme le plus incontournable candidat au trône ? « Il ne pose pas de question quand le maréchal de Gié est écarté, vaincu par Louise de Savoie, qui veut seule avoir de l’influence sur son fils. Et François n’a confiance qu’en elle ! » (p.31). Eminence grise plutôt que deus ex machina, celle à qui reviendra plusieurs fois par défaut la régence du royaume de France n’en révélera pas moins une formidable maîtrise de la donne économique et une très perceptible compétence dans la conduite temporaire des affaires de l’Etat, spécialement à travers la question diplomatique. « … les dames, la régente de France, et la gouvernante des Pays-Bas, ont décidé d’ouvrir une conférence pour l’élaboration d’un nouveau traité : ce sera dit-on, la paix des Dames » (p.213). D’abord dédié à la directe ascendante du roi, mais aussi à son épouse Claude ou encore à sa sœur Marguerite, l’hommage ici rendu aux femmes de l’entourage immédiat de François Ier donnerait presque le sentiment que le rapporteur de leur influence aura fondu la reconnaissance du genre dans un redoutable anachronisme, notamment en oubliant toute disposition regardant la loi salique. En considérant cependant leur effacement relatif face au monarque ou également l’assignation chrétienne stricte à laquelle ces nobles dames se réservaient encore, en observant par opposition les folles libertés endossées par le dévergondé roi « très chrétien » pour déroger aux règles de fidélité conjugale, nous apparaît alors la réalité sans doute assez conforme de la chronique. A cette occasion en effet, sans attrition et sans garantie équitable, L’Eglise aux longues traditions misogynes tolérait en fermant les yeux tout aussi bien que les instances civiles, les indétrônables (et peut être accommodantes) subversions d’un bouillant chef de file, quitte à laisser agir en son nom une provisoire main féminine. Les incessantes galipettes royales du Valois ne permettaient-elles pas alors à Louise, mère indulgente pour la libido débordante et admirée de son « césar » (qui ne pouvait évidemment brandir son sceptre à la fois pour satisfaire la chose intime et pénétrer le bonheur collectif), de jouir si souvent d’une vacance conjoncturelle du pouvoir ? Ici se dresse face à l’histoire le singulier mais récurrent tabou de la sexualité politique.
« Bourbon écoute. Il est humilié, honteux, en colère. Le roi et Louise de Savoie le tiennent à distance, lui intentent un procès dans le but de s’emparer de ses terres » (p.134). La déchéance rapide et bientôt sans retour du connétable de France peut être facilement reconnue sous l’œuvre efficace de la mère du roi entourée – tel le chancelier Duprat – des meilleurs conseillers en procédure et finasseries judiciaires pour y parvenir. Non seulement la richesse manquait de façon constante au roi prodigue qui devait en même temps conduire la guerre, celles qui s’affichaient ostensiblement entre les mains de ses vassaux les plus illustres prenaient aussi l’allure d’offenses ou d’humiliations cinglantes faites à lui. Parmi d’autres, Charles de Bourbon, ou plus tard encore Semblançay, ferait les frais brutaux de ces arrogances pernicieuses bientôt très officiellement commuées en trahisons et crimes de lèse-majesté. Sans doute pourrait-on reprocher ici à Gallo son manque de zèle pour reconnaître ou même débusquer les authentiques marques de cupidité de la mère du roi, quand celle-ci, et durant ces quelques fameux épisodes, aurait manifestement perdu un peu de sa parure immaculée, toute auréolée de droiture morale et de sacrifice pour la félicité publique. On se souviendra cependant que la préservation du pourvoir passe souvent par toutes les vigilances des tenants qui se protègent face aux rivalités putatives. Incessamment recouru au fil du temps et à travers le monde, le répétitif principe de l’élimination des gêneurs patentés n’aura jamais eu d’étiquette patriotique. Concernant Bourbon, qui plastronnait ainsi en grand apparat et sûr de lui au Camp du Drap d’Or, le roi d’Angleterre Henri VIII en personne n’avait-il pas bientôt déclaré : « Si j’avais un pareil sujet, je ne lui laisserais pas longtemps la tête sur les épaules ! » ? Il eût été surprenant que ce qui sautait aux yeux de l’extérieur échappât ensuite au regard du « dedans » (sur cette considération également, voir le judicieux propos de Simone Bertière/Les reines de France au temps des Valois).
Le compte rendu d’une bataille épique nécessite-t-il chaque fois le déroulement d’un rapport encyclopédique de précisions ? Pour celle de Marignan, Max Gallo évoque seulement en quelques lignes le très essentiel détail de l’action dans son cadre et son contexte. Mais la densité des mots évoquant les paysages et les hommes de la guerre (notamment le fameux chevalier Bayard ou encore le maître d’artillerie Galliot de Genouillac), les positionnements respectifs et les dénouements suffisent nettement ici à dresser un tableau morne et sanglant qui entacherait plutôt au final la renommée séculaire de l’événement. Exultant, François Ier en tirait immédiatement de son côté orgueil et présomption : « Depuis deux mille ans n’a point été vue une si fière ni si cruelle bataille ». L’allégresse juvénile de l’enfant gâté faisant l’éloge de ses exploits guerriers à sa mère se voit ici balayée par le regard infiniment plus prosaïque et l’œil humain de l’observateur qui redresse ainsi le trait : « Les morts pourrissent. L’eau des torrents est rouge de sang. François Ier estime que 12000 Suisses et 4000 Français ont été tués sur ce champ de bataille de Marignan » (p.57). Il n’est pas dit que la richesse du Milanais ait tellement préoccupé la majorité des Français d’époque, essentiellement constituée de corvéables enchaînés à une ruralité laborieuse. On peut alors compter qu’aucune journée d’action de grâce pour célébrer Marignan ne cassa tellement sa servilité machinale et quotidienne quand pourtant, s’était joué à l’instant ce qui deviendrait pendant plusieurs siècles le rutilant plastron de sa société. Une seule décennie plus tard (1625), Pavie sonnerait d’ailleurs la claironnante faillite de cette fanfaronnade orchestrée par la couronne, sûrement tout d’abord pour assourdir certains bémols et dissonances murmurantes.
« En cette année 1539, par cette initiative de François, roi de France, premier du nom, la France n’est plus seulement un royaume, mais elle devient une nation » (p.295). Autre qu’une victoire militaire en Italie, ce que raconte Marignan exprime probablement plutôt la bataille menée sous le nom fédérateur de France vers un très sensible progrès social. Ainsi s’impose sur ce plan l’Ordonnance de Villers-Cotterêts interdisant notamment l’usage du latin dans la rédaction de tous actes de justice au profit de la langue usuelle du pays. Cela ne faisait pas pour autant disparaître le latin et n’éradiquait pas non plus le précieux héritage culturel que colportait cette langue. Sans doute aussi, face à Charles Quint, Henri VIII ou même également Soliman le Magnifique, le poids formel de la langue sur la diplomatie éleva-t-il l’entité nationale à la reconnaissance d’un bienfait pacifique pour le monde environnant. Alors, Marignan, une victoire ? Oui, mais certainement pas particulièrement celle de l’artillerie face aux hallebardes. En saluant au passage Léonard de Vinci, ce gain reste plus sûrement celui des arts, de la culture sans amnésie et de l’avancée sociale et scientifique vers un humanisme prometteur de civilisation harmonieuse.
A l’heure où, parce qu’elle méconnaît ou rejette par pli l’histoire de son pays, la ministre actuelle de l’éducation nationale s’apprête à réformer l’enseignement en balayant d’un revers certains outils précieux à la connaissance, on se félicite ici du regard habile et persistant de Max Gallo sur les riches fondements de l’histoire en marche, y compris et surtout à travers le prisme national. Eradiquera-t-on bientôt le livre parce qu’une frange nouvelle de la population s’affirme totalement hermétique à la lecture ? François Ier et Marignan : une célébration fort opportune pour entrevoir tout autre chose que la capitulation culturelle et qu’un écervelé chauvinisme !
Vincent Robin
Max Gallo, né le 7 janvier 1932 à Nice, est un romancier, essayiste, biographe et homme politiquefrançais d’origine italienne. Il est membre de l’Académie française depuis le 31 mai 2007, au fauteuil 24.
Biographie :
Maximilien Robespierre, histoire d’une solitude, Librairie académique Perrin, coll. tempus, 1968 (réédité en 2001 et 2008 sous le titre L’Homme Robespierre, histoire d’une solitude)
Garibaldi, la force d’un destin, Fayard, 1982
Le Grand Jaurès, Robert Laffont, 1984
Jules Vallès, Robert Laffont, 1988
Napoléon :
I. : Le Chant du départ (1769-1799), Robert Laffont, 1997
II. : Le Soleil d’Austerlitz (1799-1805), Robert Laffont et, 1997
III. : L’Empereur des rois (1806-1812), Robert Laffont, 1997
IV. : L’Immortel de Sainte-Hélène (1812-1821), Robert Laffont, 1997
De Gaulle
I. : L’Appel du destin (1890-1940), Robert Laffont, 1998
II. : La Solitude du combattant (1940-1946), Robert Laffont, 1998
III. : Le Premier des Français (1946-1962, Robert Laffont, 1998
Manifeste pour une fin de siècle obscure, Odile Jacob, 1991
L’Europe contre l’Europe, Le Rocher, 1992
Jè, histoire modeste et héroïque d’un homme qui croyait aux lendemains qui chantent, Stock, 1994
L’Amour de la France expliqué à mon fils, Le Seuil, 1999
Fier d’être français, Fayard, 2006
L’Âme de la France : Une histoire de la Nation des origines à nos jours, Fayard, 2007
La Révolution française :
I. Le Peuple et le roi, XO, 2009
II. Aux armes, citoyens !, XO, 2009
Le Roman des rois, Fayard, 2009
Une histoire de la 2e guerre mondiale
I. 1940, de l’abîme à l’espérance, XO, 2010
II. 1941, le monde prend feu, XO, 2011
III. 1942, le jour se lève, XO, 2011
IV. 1943, le souffle de la victoire, XO, 2011
V. 1944-1945, le triomphe de la liberté, XO, 2012
Ils ont fait la France, Figaro et Express, 2011-2012 : direction de la collection
- o1. Napoléon : le conquérant, le législateur, le mythe, Figaro et Express, 2011
- o2. Louis XIV : un règne de grandeur, Figaro et Express, 2011
- o3. Jeanne d'Arc : sainte ou sorcière, Figaro et Express, 2011
- o4. Henri IV : l'homme de la tolérance, Figaro et Express, 2011
- o5. Louis XVI et Marie-Antoinette : la fin d'un monde, Figaro et Express, 2011
- o6. Clemenceau : l'irréductible républicain, Figaro et Express, 2011
- o7. François Ier : prince de la renaissance, Figaro et Express, 2011
- o8. Danton et Robespierre : les deux visages de la révolution, Figaro et Express, 2012
- o9. Charlemagne : guerrier et conquérant, Figaro et Express, 2012
- o10. Saint Louis : le sceptre et la croix, Figaro et Express, 2012
- o11. Richelieu : la raison d'État, Figaro et Express, 2012
- o12. César et Vercingétorix : naissance d'une civilisation,Figaro et Express, 2012
- o13. Catherine de Médicis : un destin plus grand que la prudence, Figaro et Express, 2012
- o14. Jean Jaurès : apôtre de la patrie humaine, Figaro et Express, 2012
- o15. Victor Hugo : le génie, l'insoumis, le visionnaire, Figaro et Express, 2012
- o16. Clovis : roi des francs, Figaro et Express, 2012
- o17. Napoléon III : l'empereur mal-aimé, Figaro et Express, 2012
- o18. Les Poilus : héroïques et sacrifiés, Figaro et Express, 2012
- o19. Charles de Gaulle : une nouvelle république, Figaro et Express, 2012
- o20. Jean Moulin : l'âme de la résistance, Figaro et Express, 2012
Une histoire de la Première Guerre mondiale :
1914, le destin du monde, XO, 2013
Les Rois fondateurs, livre illustré, éditions du Toucan, 2013
La Chute de l’empire romain, Paris (XO éditions), 2014
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