Francis Picabia, Catherine Hug, Anne Umland, Hatje Kantz
Un printemps aux aguets
Selon Picabia « Les cubistes voulurent couvrir Dada de neige : ça vous étonne mais c’est ainsi, ils veulent vider la neige de leur pipe pour recouvrir Dada ». Le tout parce que le mouvement né à Zurich leur empêchait de pratiquer leur odieux commerce. Et soudain la peinture tourne et se détourne des « chiures de mouches ». A qui en réclame, il vaut mieux proposer des reproductions ou des autographes.
Picabia fut donc détesté et s’en satisfaisait. Mais son œuvre tient : elle ne date pas. Plutôt que de « cuber les tableaux des primitifs, et les sculptures nègres, cuber les violons, les guitares, les journaux illustrés, la merde », l’artiste a semblé cultiver le rien. Il est devenu un tout que les toutous du Surréalisme ont largement annexé à leur profit.
Son art reste vivant et dégagé des « huîtres sérieuses » aimées par snobisme. Celui qui se refusait à être sérieux et qui considérait « le seul mot qui ne soit pas éphémère, est le mot mort » a fait de son œuvre un voyage dans la vie.
Il refoula la parodie de la peinture tout en cultivant une création d’abord parodique mais qui allait modifier l’histoire de l’art et celle d’une « socialisation et d’une politique : Sifflez, criez, cassez-moi la gueule et puis, et puis ? ». Et puis il y a le travail du temps qui donne à l’œuvre toute sa puissance à ses figures imaginaires comme à celles de Ribemont Dessaigne, Tristan Tzara et Marcel Duchamp.
Comme ce dernier, Picabia a brûlé les positions acquises. Jamais complice des critiques des aveugles, il a redonné à la peinture son caractère de « fée nuisible » là où elle sommeillait en dépit des cubistes que Picabia ne pouvait supporter. Il ne s’agissait pour lui que des fileurs de ficelles. A leur docilité, il préféra la ductilité de la peinture en son seul charme : celui « de l’aube tyrannique » que seuls captent les voleurs de feu.
Jean-Paul Gavard-Perret
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