Fragments d’une traque amoureuse, Fleur Zieleskiewicz
Fragments d’une traque amoureuse, éd. L’Editeur, mai 2015, 228 pages, 16 €
Ecrivain(s): Fleur Zieleskiewicz
Si le titre Fragments d’une traque amoureuse semble faire un clin d’œil aux Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes et en être l’adaptation Web 3.0, toute ressemblance avec l’original est trompeuse. Il s’agit plutôt d’une nouvelle tendance stylistique chez les écrivains ex-publicitaires consistant à utiliser un remake des titres notoires pour attirer l’œil, comme en témoigne le dernier ouvrage de Beigbeder Conversations d’un enfant du siècle, qui rime formidablement bien avec La confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset. Bref, il faut admettre que ce premier roman de Fleur Zieleskiewicz commence de façon originale. Cette promesse tient jusqu’au bout puisque ce roman raconte un amour déçu au rythme très fragmenté de la traversée d’une dizaine d’aéroports. En cela, on peut reconnaître une point commun avec Roland Barthes car l’auteure y partage une vision très « fragmentée, discontinue et papillonnante » de l’amour.
Avertissement avant le décollage : c’est un livre qui se lit avec des écouteurs (la bande son est annoncée dès la première page) et en mode web full service avec le site web fleurz.com, Facebook, Twitter et Instagram… Vous avez de quoi traquer l’auteure sur tous les réseaux sociaux. Assurément moderne et ultraconnectée, l’histoire peut donc se lire de deux façons :
– façon classique et linéaire (avec le livre papier en mode allongé sur la plage),
– ou façon smartphone et tablette en surfant sur le blog, la playlist indiquée sur chaque page du livre, avec en « bonus » les photos de certains passages.
Le titre est révélateur, il s’agit d’une véritable traque amoureuse, qui donne le trac et des tracas… Hana est une jeune femme un peu dérangée, accroc aux médicaments et aux aéroports, qui essaie d’oublier Dick, son amour perdu qu’elle n’a pourtant rencontré qu’une fois ! Son côté hystérique contraste étonnamment avec le silence des aéroports, univers froids et sans odeur. Plutôt qu’un roman, on a l’impression d’être pris dans le tourbillon d’une œuvre d’art contemporain, mêlant à la fois des clichés d’aéroport, des fragments de discours d’une femme perdue dans l’univers ultraconnecté des WhatsApp, Skype, Facebook et Snapchat, le tout rythmé par des bouts de phrases de musique rock’n’roll. L’amour y est virtuel et complètement fantasmagorique. Voire vide. Un peu comme la vitesse de propagation de mots insignifiants traversant Twitter et Facebook. L’amour est tour à tour une photo, un son, une pensée, une boisson, une frustration, bref presque rien et tout à la fois. Il n’y a pas de logique. Son personnage rappelle par certains moments les frasques d’une certaine Bridget Jones : Hana est tellement accroc à son smartphone qu’elle s’envoie des sms vides à elle-même ! On en rigole car cela pourrait très bien nous arriver… On y apprend également le langage codé du web, il existe « une hiérarchie dans la communication : échange de second ordre = Facebook, échange intime = Skype, information urgente = SMS, redressage de bretelles, mise au point formelle = mail ».
Le style d’écriture est par moments très tranchant, un peu comme celui d’une Virginie Despentes ou d’un Houellebecq : « moins fatiguée ou réellement vidée, je l’aurais peut-être laissé me remplir. Ça m’aurait potentiellement fait du bien, façon “une bite chasse l’autre” ; je ne sais pas… ». « Le possible reste désespérément plus excitant que sa résolution ». Dans cette dernière phrase, tout est dit. Ce roman est révélateur de notre époque : un personnage contemporain qui se fuit, s’oublie dans les aéroports, se consume dans les réseaux sociaux, vit dans l’instantanéité des images, s’invente un faux chagrin d’amour, tout cela pour ne pas vivre et garder tous les champs des possibles. C’est un roman symptomatique du Web 3.0, on tue notre temps dans l’hyperactivité, l’hyperconnexion pour plaire finalement à des gens que l’on ne connaît même pas.
Ce roman donne le tournis par son monde « kaléidoscopique ». On a parfois l’impression d’être dans la tête du personnage, que cela en donne la migraine. Mais on en ressort grandi : on regarde les réseaux sociaux autrement et on essaie de se guérir de cette addiction.
Il pourrait être reproché à ce livre de manquer de scénario, de contenance, mais l’humour est là. A conseiller aux hyperconnectés qui souhaitent se soigner et ceux qui se trouveraient ridicules après un chagrin d’amour, car vous n’égalerez jamais le zèle névrotique de Hana… Et apprendrez la technique du facebookiller.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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