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Fonctions Bartleby, bref traité d’investigations poétiques, Frank Smith

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 06.01.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Fonctions Bartleby, bref traité d’investigations poétiques, Ed. Le Feu Sacré, décembre 2015, 72 pages, 7,50 €

Ecrivain(s): Frank Smith

Fonctions Bartleby, bref traité d’investigations poétiques, Frank Smith

 

 

Frank Smith affectionne les situations et les livres paroxysmiques où les vies s’échouent. D’où son intérêt pour Bartleby de Melville : le personnage le passionne plus que le livre : il décontextualise ce dernier afin de donner au héros une envergure encore plus universelle. Le propre texte de Smith devient ainsi une suite de digressions plus passionnantes les unes que les autres. Devenu « B. », Bartleby se transforme en double de l’auteur, et celui-là, plutôt que de représenter une coda au livre original, devient en quelque sorte son re-commencement moins sous couvert de la fiction que de la réflexion qui permet à son auteur au bout de lui-même. B et Bartleby représentent les modèles types et l’« Héautontimorouménos » de Baudelaire. Plaie et bourreau, déboussolé Bartleby et sa reprise chamboulent le monde. Le premier en meurt, l’autre est – comme chacun de nous – en sursis.

A travers traces, preuves, références, indices, legs, Frank Smith dresse un « livre-plateau » où chaque pensée vers l’autre porte au bord d’un précipice : le message peut se perdre, errer, brûler ou être brûlé. L’opération est dans la lignée autant de Bartleby que des poètes « objectivistes » américains. Son livre traverse non seulement la littérature mais la philosophie, l’esthétique, les théories de la communication pour chercher à toucher la frontière où la littérature dans ses « plis » chers à Deleuze interagit ou échoue.

A partir d’une enquête filée, liée au livre premier, l’auteur engendre sa propre « vérité », multiple et une, là où le livre dit « d’analyse » échappe aux critères classiques de composition. Frank Smith poursuit sa route « souterienne ». D’où sa défense et illustration d’un personnage « sans visage que émacié et creusé », convulsif et vulnérable. Bref l’exemple même du héros qui va et qui ne va pas bien à la fois. Libéré du récit qui l’englue, le héros « B. » flotte non étranger aux spéculations et commentaires. Usager des mots les plus simples, « il ne fait pas sans » précise l’auteur, ce dernier les revivifie jusqu’au silence que Melville ne cassera pratiquement plus après l’écriture de son livre.

Le lecteur est conduit à expérimenter des labyrinthes et emprunter des carrefours où il peut légitimement hésiter. Les mots s’embranchent selon diverses lignes de redistribution où la pensée elle-même s’étoile. La matière poétique générée par Smith n’est pas une simplification de la vie mais son approfondissement. L’auteur prouve que si les mots ne font pas forcément défaut, leur comment dire cache un comment ne pas dire. C’est aussi vieux que la psychanalyse mais il est bon de le rappeler. Néanmoins un tel envoi peut devenir nouvelle affirmation de la poésie lorsqu’elle accepte le risque de passer de l’endroit où tout se laisse dire jusqu’au lieu où tout se perd en une fin de non-recevoir là où s’extrapole par cristallisation nouvelle.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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A propos de l'écrivain

Frank Smith

 

Frank Smith est l’auteur de plusieurs livres dont Résolution des faits (Fidel Athelme X, 2015), Surplis (Argol, 2015), Le Film des questions (Paline Page, 2014), Guantanamo (Seuil coll. Fiction & Co 2010). Il est créateur du BIP, agence de liaisons poétiques/politiques. « Cellule de traitements critiques et créatifs, le BIP veut désarmer les représentations qui nous empêchent de regarder ce qui se présente sous les yeux et d’écouter ce qui se présente aux oreilles ». Cette cellule cristallise la notion de « co-errance » et l’« en-deçà-poésie ». Le poète résume ainsi son travail : « écrire n’est pas représenter » mais chercher des « effets de réel qui relancent la vie et la pensée, déplacent les enjeux du monde et les font rebondir ailleurs et autrement ».

 

A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.