Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacés, Cécilia Dutter
Flannery O’Connor, Dieu et les gallinacés, éd. du Cerf, mars 2016, 208 pages, 19 €
Ecrivain(s): Cécilia Dutter
Grande romancière et nouvelliste américaine du vieux Sud des États-Unis, Flannery O’Connor, malgré une vie brève et marquée par la maladie, a laissé une œuvre puissante, encore trop méconnue du public français, bien qu’elle ait fait l’objet d’une édition intégrale en Quarto chez Gallimard.
Cécilia Dutter se fait ici l’écho de cette voix singulière. Elle retrace avec talent et admiration l’itinéraire de la femme et de l’écrivain, dans une biographie aussi littéraire qu’intime. L’auteur s’y dévoile de temps à autre, par petites touches, derrière cette « maîtresse en littérature » qu’elle fut.
Atteinte d’un lupus érythémateux, maladie auto-immune grave qui lui valut de nombreux séjours à l’hôpital et dont elle mourut à l’âge de 39 ans, Flannery O’Connor passa l’essentiel de son existence dans son domaine de Milledgeville, en Géorgie où, entourée de ses paons et autres gallinacés, elle consacra le peu d’énergie qu’il lui restait à l’écriture.
Ses romans et nouvelles croquent le monde rural du Deep South des années 1950, avec ses Noirs et ses petits propriétaires Blancs racistes. Dans cet État retiré, fermé à la modernité, où les églises évangélistes sont légion, la ségrégation est encore la norme, bien que le mouvement intégrationniste gagne lentement du terrain dans le pays.
Catholique d’origine irlandaise, dotée d’une foi chevillée au corps, Flannery O’Connor cherchait à approfondir, à travers son œuvre, le sens du Mystère, dans une mise en scène lucide et très crue de la réalité. Elle ne savait que trop bien qu’elle s’adressait à un lectorat majoritairement athée. C’est pourquoi, avec un sens de l’humour et une imagination sans pareils, elle usait du grotesque et du burlesque afin que ses textes interpellent le public et créent chez lui un électrochoc.
Adepte des antihéros, elle mettait ainsi en scène des personnages parodiques évoluant dans un monde ultra-violent où ils s’enlisaient. Leur salut venait de la grâce divine – au centre de son œuvre –, qui tombait généralement sur eux en guise de couperet final.
Hélas, le public et les journalistes de son époque passèrent souvent à côté de l’objectif de l’auteur. La correspondance que Flannery O’Connor entretint avec ses amis et lecteurs témoigne à ce titre du décalage entre ce qu’elle avait à dire et la façon dont elle a été lue. Avec une hauteur de vue et cet humour noir dont elle avait le secret, elle y parle sans complaisance de sa vie de souffrance, de son succès, de sa mère – incapable de comprendre cette intellectuelle à la sensibilité exacerbée –, de son amour des paons dont elle passait des heures à « admirer l’inutile et indifférente beauté ».
À travers cet essai brillant, sensible et fouillé, Cécilia Dutter nous communique sa passion pour cette œuvre exigeante qu’elle analyse avec une grande sagacité. L’occasion pour elle d’une réflexion sur l’art d’écrire et la délicate mission de l’écrivain croyant.
Laurent Bettoni
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