Fille, Camille Laurens (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Fille, août 2020, 240 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard
Camille Laurens et les mots
Le corps des femmes est souvent « dit » dans la littérature afin qu’il ne se voie pas ou mal. Il est issu de tous les archétypes divins que les hommes ont inventés de peur de n’être qu’un souffle provisoire, un courant d’air, de leur boîte crânienne aux orteils.
Camille Laurens se doit donc de jouer avec les signes qui « dopent » l’esprit « malin ». Son roman ouvre sur un espace de l’intime et de l’extime féminin, loin d’un grand guignol dont l’auteure dénonce les formes et tournures surannées d’un clafoutis anthropomorphique.
Elle a ainsi toujours un coup, un cran d’avance. Que demander de plus que cet envoûtement romanesque qui se définit d’emblée ainsi :
FILLE, nom féminin
1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère
2. Enfant de sexe féminin
3. (Vieilli) Femme non mariée
4. Prostituée
La « chose » ainsi posée, la romancière entre dans la vie de son héroïne : Laurence Barraqué. Elle grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen. « Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il. Et tout le livre est dans le même esprit.
Naître garçon aurait sans doute donné des prérogatives et facilité la vie. « Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce ». Mais Laurence ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : rien n’est simple. Et sans que tout se complique, l’héroïne se demande comment faire ? Que transmettre ?
Dans une maturité d’écriture rare, Camille Laurens soulève de nombreuses questions au sujet de la féminité, de la maternité, de l’innocence, de l’enfance, de la religion, et permet d’entrer dans le domaine de l’insondable jusque par le ventre et le cœur ouverts des femmes, autrement que la violence verbale de celui qui se prit pour le sexe premier.
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 1703