Face aux maisons, Philippe Fumery (par Murielle Compère-Demarcy)
Face aux maisons, Philippe Fumery, éditions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord, avril 2021, 89 pages, 12 €
Le titre de ce nouvel opus poétique de Philippe Fumery, édité chez Henry dans la collection dirigée par Jean Le Boël, Les Écrits du Nord, se trouve explicité à la dernière page. Nous n’en révèlerons pas bien sûr le contenu ici mais indiquons qu’il s’agit d’une citation du poète Pierre Dhainaut, ce qui n’est pas anodin, et qu’elle reste valable non seulement en toutes circonstances mais plus particulièrement au vu du travail du poète. Ainsi ce que le poète nous donne à voir dans le détail des contingences simples, des aléas soulevés par le regard dès que celui-ci se révèle curieux, constitue une mise en abyme de son activité, ce qui revient à dire qu’écrire le poème de chaque jour le respire en ses pores, en mange les instants de tristesse et la joie, en visualise les odeurs, en écoute les humeurs – dans une synesthésie fabuleuse qui nous fait palpitation intégrante d’un cosmos aussi vivant que l’inconnu sidéral est fascinant.
Nous sommes face à des mots, des lignes, des ondes poétiques vibrant au vent, aux souffles de l’air qui nous entoure, nous traverse, nous élève. Avec toute la difficulté d’être, de se sentir vivre « face » à ce qui ressemble parfois à des murs que l’on tentera opiniâtrement de franchir, pourvu de courage ou armé de désir. L’expérience de vivre rejoint l’expérience littéraire, et de façon éminente le poème dont les mots osent leurs branches vives et repousses à chaque nouvelle saison, en quête d’un horizon recommencé « face aux maisons ».
Sont-elles teigneuses, ces maisons, ou repliées sur elles-mêmes, ou indifférentes, ou… ouvertes vers nous, sur le bord du temps où nous demeurons, simples passants, face aux paysages entrevus ?…
Chez Ph. Fumery, le contenu minimaliste saisi par le regard des mots, dans un environnement où la nature a place forte – « le cri des pies », « les peupliers », « la plaine », « le passereau », « la maison d’en face », etc., augmente la lumière des heures écrites, comme si le poème en transfigurait avec peu d’outils utilisés l’atmosphère inédite et inoubliable ; où les correspondances (au sens baudelairien) entre les différents habitants, êtres ou éléments, se répondent de loin en loin, transforment indirectement l’univers et ses partitions spontanées ou durables, voire où l’empathie peut l’emporter sur la tâche à accomplir
Ce jardin à taille humaine
un rouge-gorge l’arpente cet été,
(…)
il se pose sur des branches basses,
(…)
et rejoint dans le jardin d’herbes
la base d’un épais laurier
où il a construit son nid
je le taillerai plus tard
Le poème augmente le réel jusqu’à le sublimer, un peu comme cet oiseau aveuglé par la translucidité d’une fenêtre
Un oiseau se jette dans ma fenêtre,
elle porte ces taillis en reflet,
comme si son domaine
s’élargissait d’un coup d’aile.
Si les simulacres sont à détourner, embûches sur le cheminement de nos existences, l’espace poétique modifie parfois la perspective, à l’instar du poète qui donne à voir. Philippe Fumery est un poète du réel que l’on observe et que l’on travaille, d’une réalité laborieuse comme une terre un terroir que l’on apprend à regarder, à comprendre, puis que l’on retouche par les mots, dans des strophes ou par un monolithe de vers cadencés, rimés
La presse soulève l’andain,
avale la paille
poussée en cadence
par le balancier
dans ses entrailles,
et sont enlevés d’un même élan
la course du lièvre dans le blé en herbe
la couvée des perdrix
les coups de vent au printemps
les coquelicots fragiles (…)
L’arbre figurerait peut-être une allégorie de cette position et posture que le poète prend au sein du monde, au milieu d’un quotidien palpable jusque dans l’infinitésimal, impacté et impliqué depuis ses racines /son histoire jusqu’au ciel/son avenir/son infinité, dans les plus menues actions au fil du vraquier des heures. Nous naviguons à bord d’embarcations où le poète Philippe Fumery nous invite pour parcourir des eaux calmes, réflexives, imprégnées dans leur moindre miroitement du nuancier sensitif du monde.
Le poète, soit dit en passant, ose ce que les anciens hommes de la terre reléguait dans le champ de l’inutile : écrire (comme lire) des mots qui ne serviront à rien pour la terre nourricière ; des mots dont la nature n’a cure. Pourtant combien de lecteurs auraient été attentifs à la fuite du lièvre dans les blés, à la couvée des perdrix, après le passage de la presse agricole durant la moisson, si le poète n’avait pas ainsi restitué le réel dans son humaine et cosmique dimension. N’est-ce pas le rôle de la poésie, d’accorder un rayon de soleil supplémentaire à la caisse de résonance de nos âmes trop souvent sourdes et aveugles ?
Murielle Compère-Demarcy
Philippe Fumery, né en 1955, marié, père de trois filles, vit sur le littoral proche de Dunkerque. Après un essai en agriculture, l’auteur travaille à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes et des adultes en difficulté. Il s’intéresse à l’ethnologie, l’histoire du monde rural, les peuples primitifs. Ses premières influences ont été Jean Giono et Max Rouquette. Les Voies navigables, son premier roman publié, est un texte impressionnant qui peut faire penser à Céline, Claude Simon et Jean Rouaud.
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