Extension de la lumière, Jean-Louis Rambour, Pierre Tréfois (par Murielle Compère-Demarcy)
Extension de la lumière, Jean-Louis Rambour, Pierre Tréfois, La Salamandre, 2019, 107 pages
Ecrivain(s): Jean-Louis Rambour
Le titre et quelques lignes en épilogue tournent d’emblée le lecteur vers cette lumière entrevue au sortir du tunnel lorsque l’existence qui nous enfonce dans l’obscur de ses douleurs – pertes proches, deuil, « cendres » – nous offre tel « le phénix renaît de ses cendres » une issue « to the happy few ». Dédié au fils disparu pour le poète Jean-Louis Rambour (« Tout est écrit en pensant à François »), cet opus poétique trace par ses mots et ses créations picturales une « extension de la lumière » via les textes de J.-L. Rambour et les dessins de P. Tréfois qui signent ensemble une troisième publication après La Vie crue (éd. Corps Puce) et L’Éphémère capture (éd. Eranthis). Les arabesques dessinées, les courbes, l’élan vertical figurent comme une flamme, au cœur du texte poétique qui en diffusent les mouvements écrits par le poète en scènes narratives précises et imagées. Jean-Louis Rambour possède cette puissance de faire sourdre la poésie au cœur même du récit de la vie concrète et symbolique. Avec des sauts d’images étonnants, surprenants, qui secouent la passivité de l’esprit du lecteur ou dont les raccourcis fulgurants pulvérisent le cadre de nos regards formatés :
Les ondulations de la houle,
selon la côte empruntée, surtout s’il s’agit
d’un littoral de l’Océan indien
– choisissons la grande Comore par exemple –
prennent de telles eaux
de si fortes couleurs, si mouvantes couleurs,
qu’on croit assister au vêlage d’une vache
sur une paille fraîche, chaude.
Nous imaginons volontiers que le poète a posé ses mots comme l’oiseau-chardonneret ses ailes sur l’arbre des couleurs dessinées par l’artiste. Cela dès le premier poème, où J.-L. Rambour VOIT une femme-cadeau dans la flamme-fleur qui se dresse dans le soliflore de la page :
Le plus souvent la femme bleue
est ce cadeau en papier-fête,
la poitrine ficelée en pétales
et feuilles de bolduc,
un bolduc à tentacules
agités vers le haut, le bas,
bolduc couleur chardon,
fête de la folle époque.
Le mouvement impulsé par les mots de J.-L. Rambour circule en ascendances dans la lumière du texte et de l’image qui, formant poème, augmente la profondeur des dessins de Pierre Tréfois, accroît la latitude de l’imaginaire amorcé par le poète et résonne dans ses poèmes comme une ondulation supplémentaire insufflée à la danse des couleurs et courbes créées. Il arrive que J.-L. Rambour s’appuie sur l’anecdotique et le fil narratif asserti de détails, de faits précis, des traversées existentielles, pour accentuer le réalisme d’un univers onirique :
Voici un étang que Corot a peint en 1873.
Il avait séjourné à Saint-Christ-Brioul tout l’été
et une petite moitié de l’automne.
(…)
On attend peut-être que sortent des profondeurs
l’épée d’un roi, pourquoi pas une Loreleï ou
quelque chose d’approchant. Ou que s’écartent
les roseaux devant un bateau d’aventures.
« Peut-être » « l’épée d’un roi » ou « pourquoi pas une Loreleï ou/quelque chose d’approchant »… l’espace-temps de notre imagination est préservé pour laisser entrer l’Extension de la lumière, sur le « bateau d’aventures » du langage à bord duquel le réel est embarqué, « frégate » filant sa cargaison de souvenirs, de rêves, d’espoirs, cap sur l’Imaginaire…
Murielle Compère-Demarcy
Jean-Louis Rambour
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Rambour
Pierre Tréfois, piéton provincial, intermittent de la plume (aphorismes, dessins, poèmes). Objecteur de barbarie, d’obédience écosocialiste. Partage sa joyeuse mélancolie entre Ottignies (Wallonie) et Lablachère (Ardèche). Parfois poète, un peu peintre, souvent ironiste. L’offertatoire rouge, éd. l’Arbre à paroles (2009), Tropique du Suricate, éd. Gros Textes (2012), Rouge résiduel, éd. Eranthis (2015), L’empreinte ironique, éd. Gros Textes (2015), L’éphémère capture, avec Jean-Louis Rambour, éd. Eranthis (2016).
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