Etre, René Belletto, par Jean-Paul Gavard Perret
Etre, René Belletto, P.O.L, janvier 2018, 288 pages, 18 €
René Belletto poursuit son avancée dans un travail de la neutralité de la fiction dont Le Livre donnait déjà une bonne idée. Il s’agissait déjà d’envoyer le lecteur dans un jeu où le plus de précision et de vérité possible s’ouvrait tout en feignant d’ignorer certains piliers de la narration « classique » – ce qui permet paradoxalement de rendre la fiction plus forte.
Il en va de même avec Etre dont le terme générique remplace dans l’esprit de l’auteur celui de « Héros et narrateur de l’aventure ». D’autant que les aventures elles-mêmes ne se veulent pas « de ces prestigieuses aventures de jadis, ni de ces aventures sans lendemain errant à jamais entre les murs du désespoir ». Le livre caresse en effet une autre ambition : celle d’une fiction où l’auteur aurait voulu régner « au cœur d’une aventure sans aujourd’hui, comme si le grand livre du Destin avait brûlé dans l’incendie de quelque bibliothèque ».
Tout aurait donc pu être parfait, devenir la narration de la narration sans le retour du concret qui déloge l’auteur-narrateur-héros au sein de ce qui fait et devient histoire jusqu’à ce que le roman à défaut de se « policer » redevienne d’une certaine manière policier.
Tout Belletto est là, avec son charme, sa froideur, son ironie au troisième degré. Le roman propose une littéralité soustractive faite de fragmentations, dispersions, incisions, dissolutions, abolitions, vacances et pièges en divers types de glissements. Les images visuelles fleurissent et se dissipent au moment où l’être est pris dans leur étau sans trop savoir (ou en sachant trop) comment c’est en-dessous tout en ayant rêvé ce qui est un comble pour un narrateur – ne pas désirer le « voir ». Mais le pli étant pris rien ne peut empêcher le discours de se poursuivre. Et ce – de gré ou de force – pour le plaisir du lecteur.
René Belletto : le miroir sans visage
René Belletto feint de pratiquer une diction à la littéralité soustractive faite de fragmentations, dispersions, incisions, coupures, dissolutions, effacements, abolitions, vacances, si bien que dans ce dernier livre, narrateur et héros sont supprimés et remplacés par ce neutre « être » comme s’il s’agissait de poursuivre un discours que le premier n’aurait voulu écrire et le second ne pas vivre.
Se cache ici l’humour subtil de Belletto. Il est coutumier du fait, mais à mesure que son œuvre avance il poursuit ce processus de glissement. Peut-on dans cette perspective parler de roman ? La réponse est un oui massif même si le narrateur ne sait jamais ce qui se passe en-dessous des faits ou que à l’inverse il ne voudrait pas le savoir mais que le pacte romanesque l’oblige à dire.
En mal de vecteur littéraire (héros, narrateur), il ne s’agit donc pas (encore) d’en finir avec la fiction. Elle fait même comme toujours chez Belletto retour de manière « policière » en une époque (la nôtre) de doutes et d’incertitudes. Dès lors les altérations narratives restent une vue de l’esprit là où la diction redevient « archéologique ».
Certes la validité du récit transforme tout l’univers visible en un monde de fluctuations. L’auteur n’y cesse de troubler la compréhension de la réalité par les hypothèses sans cesse remises en cause. Par la rigueur de l’écriture, l’astuce de l’auteur comme celle de son personnage – de quelque côté que le lecteur se tourne – les faits ne possèdent que la longue et sombre coulée de leur ombre.
Jean-Paul Gavard-Perret
René Belletto est un écrivain français né à Lyon 2e le 11 septembre 1945. Surtout connu pour ses romans policiers, primés à plusieurs reprises, il publie également de la « littérature blanche » et fantastique.
- Vu: 2490