Et puis prendre l’air, Etienne Faure (par Patrick Devaux)
Et puis prendre l’air, Etienne Faure, décembre 2020, poèmes en prose, 136 pages, 14,50 €
Ambiance mais aussi expressions anciennes font office de guide touristique littéraire d’un monde dilué dans les mémoires où le temps joue les compte-gouttes ou au sablier entre les monuments et autres lieux-dits aux appellations immuables. De « la perte de vue à la perte tout court » il n’y a qu’un pas si l’oubli l’emporte sur le reste. Il y a tout de l’attente dans ce rêve écrit où « le banc à mi-chemin devient point de rencontre entre la solution cherchée et celle qui doit venir, à pied par l’allée centrale – ou jamais ».
Le Piéton de Paris de Léon-Paul Fargue trouve là une contemporaine continuité toute en rappelant des nostalgies évanescentes qui doucement entrent en dissidence pour faire apparaître un Paris neuf distribué en images accélérées dans le temps : « vivre et survivre, vitesse incertaine des vies » pour poursuivre la route.
La vie de tous les jours passe par des rencontres sur les bancs publics qui deviennent des sortes de partition à se rencontrer, à observer : « Se poser, comme on parle de s’assagir, en siégeant là, sans rien faire, du moins d’apparent. C’est à ça qu’on rêve subitement ».
Et puis prendre l’air vit de l’intensité des extérieurs, les poèmes en prose grossissant ou rapetissant ainsi la ville jusqu’à la vie et l’observation infime à la manière d’un microscope. Le sens aigu de l’observation égratigne, en parallèle, changeant de chapitre ou peut-être par contraste, le monde culturel avec parfois ses faux-semblants : « Emouvant cet entêtement que mettent les acteurs et les gens de théâtre (comme on dit de voyage) à servir bien vivante, en chair et en direct, la langue, occuper le terrain des planches et du verbe. Même à la ville, quand ils toussent, on a l’impression qu’ils jouent, non pas l’impression qu’ils parlent, mais qu’ils la poussent la tirade, se mettent à jamais en scène ».
L’auteur paraît en perpétuel exode de lui-même, à la recherche, à travers villes ou parfois voyages imaginés, d’une sorte de lien : « Commencent ainsi un semblant de reconnaissance, un cousinage des lieux qui se recomposent avec des bruits ad hoc ». Les faits actuels et anciens sont comme figés dans le moment poétique de ce qu’ils sont, furent. Davantage que de la nostalgie, l’approche semble utilitaire, quotidienne et témoigne :
« La vitesse à laquelle pousse la barbe rappelle l’ardeur que mettaient les pères à se raser tout le temps, éradiquer le poil de la peau, tout le système pileux, contre le poivre et contre le sel poursuivre aveuglément le moindre signe en braille, l’aspérité ».
Et puis prendre l’air donne aux mots une vraie respiration et à la poésie une audacieuse vision psycho-journalistique.
Patrick Devaux
Étienne Faure, poète français, né en 1960 en Normandie, vit et travaille à Paris. Il est édité chez Champ Vallon et Gallimard et a publié dans de nombreuses revues, certaines très influentes : NRF, Conférence, Théodore Balmoral, Rehauts, Europe, Le Mâche-Laurier, Pleine Marge.
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