Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, Souvenirs, Paul Veyne (2ème article publié)
Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, Souvenirs, septembre 2014, 260 p. 19,50 €
Ecrivain(s): Paul Veyne Edition: Albin Michel
Ensemble de souvenirs disparates, mêlant les anecdotes comme les passages importants de sa vie, des analyses des religions, du parti communiste, de la Rome antique, d’amour, d’alpinisme, Paul Veyne parle comme il l’entend de tout ce qu’il souhaite partager. Si l’homme du présent explique celui du passé, nous découvrons qu’il sait rejoindre l’éternité dans le plaisir du savoir ou des extases de l’amour. Drôle, lucide et excentrique, passionné, nous comprenons peu à peu le titre de ces mémoires.
L’auteur prévient dès la première page : « Ce livre n’est pas de l’autofiction et n’a aucune ambition littéraire, c’est un document social et humain à l’usage des curieux ». Pourquoi ainsi qualifier ses souvenirs ? L’historien ne se contente pas de s’observer, mais de se comprendre à l’aune du contexte historique et social qu’il a traversé. Non seulement a-t-il vécu des évènements historiques tels que l’Occupation qui marquera radicalement l’enfant et l’adulte qu’il devient, mais il put avoir la chance de rencontrer d’aussi grandes figures que René Char ou Michel Foucault dont il veut témoigner.
S’il s’attache à s’expliquer dans ce livre – comme lorsqu’il comprend son adhésion au parti communiste par la culpabilité que lui firent éprouver les idées collaborationnistes de son père – le seul hasard concerne sa vocation. Vers huit ans, la découverte d’un trésor, une pointe d’amphore romaine dans la terre, et un embrasement pour l’histoire antique lui ouvrent le chemin vers le plaisir intellectuel de la lecture, de la scolarité et de la réussite. Loin de souhaiter être professeur, l’historien se décrit comme un solitaire, rêvant aux figures de ses manuels scolaires, contemplatif et excentrique. Nous découvrons que son talent de conteur s’accomplira sur scènes aux côtés de Michel Piccoli et Dominique Blanc dans une récitation des poèmes de René Char alors disparu. La richesse de ces souvenirs rendent impossible la lassitude, et ses pensées nous sont livrées en toute transparence avec une lucidité souvent très amusante. « Un excentrique ? C’est me faire trop d’honneur : je suis un faux bohème qu’attire le romanesque, voilà tout. Peu soucieux de mes sous, je laisse de bons pourboires, mais sans me ruiner ; je n’ai pas négligé ma carrière universitaire et n’ai jamais touché aux stupéfiants. Je suis habillé et coiffé comme tout le monde. Je n’ai jamais eu d’accident de voiture ».
Paul Veyne raconte en effet toute l’importance de l’amour dans son existence. Sans s’épancher l’auteur délivre quelques fragments d’histoires parfois tragiques. Là encore, tout n’est pas dit : seul le plus marquant et le plus partageable. Il ne s’agit pas de mémoires établies selon une chronologie linéaire impeccable et sans manquements, mais d’une histoire qui se raconte au rythme de l’auteur, de ses envies, et de ses élans du cœur. Ainsi, ces souvenirs ne sont pas centrés sur son auteur mais visent toujours à parler d’autre chose, de la vie d’écolier, d’étudiant à l’Ecole Normale Supérieure, de frileux adhérent du parti communiste, des personnalités rencontrées, de l’ambiance de l’université ou du Collège de France, des voyages en Italie, du plaisir de la recherche, de la sexualité et de l’amour. En somme, toutes sortes de sujets qui peuvent aisément se hisser à l’universalité par l’intérêt que sait si bien susciter son auteur. Humblement et conformément au grand historien qu’il est, Paul Veyne passionne, lui-même passionné par ce qu’il nous raconte. Il réussit alors à rendre l’exercice du souvenir tout à la fois sérieux et léger, parvenant à décentrer ses souvenirs vers le statut de témoignages plutôt que d’histoires personnelles. Objectif parfaitement atteint.
Sophie Galabru
Lire l'article de Marie-Pierre Fiorentino : http://www.lacauselitteraire.fr/et-dans-l-eternite-je-ne-m-ennuierai-pas-souvenirs-paul-veyne
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