Et aussi les arbres, Isabelle Bonat-Luciani
Et aussi les arbres, mai 2018, 76 pages, 13 €
Ecrivain(s): Isabelle Bonat-Luciani Edition: Carnets du dessert de lune
Tous les sens de l’auteur sont en éveil à écouter, entendre, distinguer, ressentir à fleur de souvenir jusqu’au trouble qui mêle le haut et le bas, la cime et la racine de l’être, la sève de vivre : « Le ciel a débarrassé le plancher. Il est dans ma tête. Au fin fond. Toujours ça revient ». Les mots sont « tagués » les uns aux autres « pour tenir loin des désordres. Pour tenir loin des solitudes ».
Souvenir d’un premier amour ? Certes. Mais sans « Il était une fois » parce que l’évènement tourne en boucle.
Avec un ton faussement anodin, des choses importantes sont dites, toujours avec cette façon un peu explicative, voire professorale : « Parfois elle lui disait que pour aimer il valait mieux ne jamais rien savoir ».
Avec retours sur l’adolescence, l’image des parents, de la mère plus particulièrement, du corps qui se modifie, la vie en évolution parle à travers le temps qui se souvient de façon obsessionnelle : « Les gens marchent mais c’est dans ton image qui fissure le sol » ou encore : « Lorsque j’approche de ton absence, il y a ce toi bien trop immobile pour regarder ».
L’intrigue persévère ainsi entre châteaux en Espagne à venir construits si possible sur un seul château de sable du passé, semblant doubler le récit sans qu’elle ne se dévoile facilement.
Le secret évolue avec la progression du récit. Mieux que l’intrigue elle-même, on vit une sorte de mystère existentiel, douloureux, profond. Peut-être s’agit-il d’ailleurs du processus même de l’adolescence à appréhender avec ses espoirs et ses dangers.
Même Dieu passe dans ce joyeux désordre. Le langage de l’auteur est boulimique, carnassier, Isabelle ne laissant rien passer jusqu’à ce qu’on comprenne le tragique dénouement : « Je me souviens de ta tempe abritant un trou mais que je n’avais pas su regarder. Alors je chante les chants que tu m’as laissés ».
Le rêve et le cauchemar procèdent de la même origine. Cette manière d’écrire fait, à mon sens, partie d’un mouvement qu’on pourrait qualifier de « sensitif », quelque chose du balbutiement de nos recherches popularisées de la profondeur d’être, une sorte de psychanalyse vulgarisée à la compréhension de tous, exprimée comme : « Je ne sais pas si ce qui remue dans mon corps prend ou donne. C’est bruyant et sourd faisant naître des chemins jusqu’à ma tête ».
Jean-Louis Massot, éditeur et auteur lui-même, initie ses choix de manière à révéler, in fine, un quasi mouvement créatif global qui ressemblerait à sa recherche personnelle profonde. Choisir des auteurs et des textes procède également de l’acte créatif. Et c’est fort le cas pour Et aussi les arbres, le titre du livre intriguant lui-même jusqu’aux racines neurologiques d’une écrivaine qui pense ce qu’elle écrit avec une conviction vitale et essentielle.
Patrick Devaux
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