Éphéméride, Valérie Rouzeau (par Philippe Leuckx)
Éphéméride, mars 2020, 144 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Valérie Rouzeau
De Nevers – cité qui incite à la poésie –, Valérie Rouzeau a tenu pour nous un journal poétique du 11 mai 2019 à fin décembre, mêlant dans un joyeux désordre surréaliste et signifiant, notes, poèmes, menues activités, rencontres, fragments de pairs aimés, chronologie intime et intimiste des événements d’une « vie ordinaire », où le registre des faits, des gestes, des textes sonne comme une victoire contre ce temps chenapan et tapageur, période difficile aussi à vivre, sans espérer un peu que la poésie puisse comme un baume joindre à l’amer un peu de beauté et d’inventivité.
Et en matière d’inventivité, Rouzeau ne manque pas de ressources, se régalant à commettre sur le dos des signifiants, nombre de forfaits poétiques notoires, selon la logique de « l’effet mère ride », Valérie consigne ainsi :
Chez mes hôtes en pays gaga
Le minuteur ne marche pas
J’ai le temps d’oublier mes pâtes
Compter flocon après flocon
Macaronis et papillons
Ecouter les téléphoneurs
Téléphoner à toutes les heures
Sous mes fenêtres sans rideaux
Chiper leurs paroles quelle misère
quel bonheur quel récipient d’air.
Nous sommes les récipiendaires de ces fragments de la réalité dans laquelle baigne ROUZES EAUX, dans la fluidité fuyante et liquide des jours. Aussi faut-il souligner les ferveurs pour des œuvres contemporaines, comme celles d’un Emaz, tristement parti si tôt.
Ephéméride tourne les pages de la vie, au fil des saisons, des lectures, le temps de pouvoir « voir son chagrin/sauter dans les flaques à cloche-pied » ou ne pas « vouloir non plus de balai de robot/ Ménager la chèvre et le chou/ La chèvre mon bon signe chinois » (Rouzeau est chèvre comme Proust, Pagnol, Arnoul, Girardot, Vitti, Cavalier, Vandenschrick, Saviano…).
J’ai dit surréaliste, eh oui, d’une « salade » préparée aux « acronymes » d’une page qui précède, Valérie assaisonne sa vie de poète de traductions de ses chers anglophones, Sylvia Plath en tête.
Se souvenant de notre cher Hardellet, elle compose, aussi, à son exemple, des répertoires de vers chéris, puisés à toutes les têtes poétiques, de tous styles, de toutes formes :
pour te prévenir que ma vie n’est pas solide (Cliff)
je voudrais quand même être heureux (Laupin)
tu reviendras quand les tulipes auront fleuri (Delvaille)
à mon coeur qui n’est pas guéri (Reverdy)
qu’on me laisse partir à présent (Perrier)
Le livre, ouvert, se clôt, loin de toute certitude, sur trois simples mots : « Essayer, pour voir ? ».
Philippe Leuckx
Valérie Rouzeau, née en 1967, auteur française de vingt-cinq livres de poésie : Petits poèmes sans gravité, Pas revoir (Prix des Découvreurs), Va où, et Vrouz (Prix Apollinaire). Traductrice de l’anglais.
- Vu : 2010