Entretiens avec Jean-Paul Michel. Premier entretien (1)
« Les livres sont le pain des vivants et des morts »
Jean-Paul Michel est le directeur des éditions William Blake and co.
Matthieu Gosztola : J’aimerais que l’on commence, si vous en êtes d’accord, par le questionnaire de Proust, avec, bien sûr, la possibilité d’ignorer certaines questions ; ajoutées : des cases vides pour que vous puissiez inscrire vos propres questions, à vous posées.
Le principal trait de mon caractère
Une émotivité excessive, que je dois contrebattre, chaque jour, par la règle et par l’art.
La qualité que je préfère chez un homme
Le scrupule.
La qualité que je préfère chez une femme
La tendresse.
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis
Que chacun soit celui qu’il est, exactement.
Mon principal défaut
L’impatience.
Mon occupation préférée
M’étonner de la chance d’être, cette énigme.
Mon rêve de bonheur
Rendre à cet éblouissant mystère le salut qu’il réclame.
Quel serait mon plus grand malheur ?
N’y parvenir pas.
Ce que je voudrais être
Celui qui n’aura pas renoncé à cette gageure.
Le pays où je désirerais vivre
Autrefois, j’aurais dit : les steppes, les forêts, les déserts. Aujourd’hui, je dirais : le pays de Montaigne, de Pascal, de Baudelaire, de Rimbaud, de Mallarmé m’aura donné très au-delà de ce que je pouvais espérer de meilleur.
La couleur que je préfère
Le rouge-feu.
La fleur que j’aime
Le « Lys d’un jour » rouge-feu ensauvagé du jardin d’Auriolles.
L’oiseau que je préfère
Le chardonneret.
Mes auteurs favoris en prose
Héraclite, Montaigne, Machiavel, Pascal, Saint-Simon, Rousseau, Proust.
Mes poètes préférés
Héraclite, Homère, Dante, Shakespeare, Hölderlin, Hopkins, Rimbaud.
Mon héros dans la fiction
Ulysse.
Mon héroïne favorite dans la fiction
Béatrice.
Mes compositeurs préférés
Monteverdi, Mozart, Bach.
Mes peintres favoris
Lascaux, les peintures du Fayoun, les « Primitifs » italiens, Uccello, Chardin, Goya, Gauguin, Cézanne.
Mes héros dans la vie réelle
Socrate, Dante, Van Gogh, Rimbaud.
Mes héroïnes dans l’histoire
Sei Shônagon. Emily Dickinson.
Mes noms favoris
S’il s’agit de noms de personnes : Cavalcanti, Uccello, Giacometti
S’il s’agit de noms de choses ou d’états de l’être : Eau. Feu. Joie.
Ce que je déteste par-dessus tout
La bassesse.
Personnages historiques que je méprise le plus
Les intellectuels staliniens qui martyrisèrent le Cambodge sous Pol Pot, très purs effets de la folie raisonneuse qui ne peut manquer de tyranniser toute espèce de désir idéologique extrême (de la vérité, du parti, de la classe, de la religion).
Le fait militaire que j’admire le plus
Socrate combattant à pied, arborant un air terrible, l’ennemi regardé bien en face (à ce que dit Alcibiade).
La réforme que j’estime le plus
S’il s’agit d’une réforme sociale : avoir appris à chaque enfant, garçon ou fille, à lire et à écrire aux frais de la collectivité.
S’il s’agit d’une réforme morale : en placer un autre avant soi
Le don de la nature que je voudrais avoir
Être né musicien.
M’eût-il été donné d’avoir un fils, que lui dirais-je ?
Le monde est un tissu de fables. Ose espérer.
Quel abandon me paraîtrait le plus gravement ruineux ?
Celui de notre confiance en l’art.
Quelle disposition humaine a-t-elle le plus de prix à mes yeux ?
L’amitié.
Mon Mécène
J.-F. M… A la mort de Jean-Marie Pontévia, sa fine et profonde générosité a pris le relais de l’amitié perdue. Idéalement. – Parce que c’était lui.
Quel est l’homme dont la détermination à braver les épreuves m’impressionne le plus ?
Je vois peu d’offenses plus traumatisantes que les outrages infligés aux justes et aux désintéressés : Socrate, ce Christ grec ; le Christ, cette inimaginable figure du don de soi, dont le supplice physique, perçu dans l’enfance, le scandale atroce qu’il est, épouvante inoubliablement – quelque peu de goût que l’on ait pour les cléricatures qui auront prospéré sur son sacrifice.
Mon idée de la justice
La justice ayant été dite, « la clémence vaut mieux que la justice » (Vauvenargues).
Comment j’aimerais mourir
Autrefois, j’aurais dit, comme bien des jeunes gens : au combat, pour une cause très noble et très juste.
Aujourd’hui, n’était cette issue, plus sobrement : d’une crise cardiaque.
Quelle disposition chez moi m’intrigue le plus ?
Mon amour des maisons vides, des bâtiments abandonnés, des ruines.
Quelle hypothèse former touchant un attrait si singulier ?
Se pourrait-il que quelqu’un cherche là ceux qui lui manquent ?
Mon idéal quant à la manière, dans l’art
La chose même.
État présent de mon esprit
De loin en loin, mais de plus en plus souvent, une paix inconnue jusqu’ici.
Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence
Celles qui tiennent à la naïveté généreuse de la jeunesse.
Ma devise
Ose.
Entretien mené par Matthieu Gosztola
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