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Entretien Gilles Brochard/Maxime Dalle sur la revue littéraire Raskar Kapac et le numéro spécial « Augiéras » (par Gilles Brochard)

le 10.06.21 dans La Une CED, Entretiens, Les Chroniques

Entretien Gilles Brochard/Maxime Dalle sur la revue littéraire Raskar Kapac et le numéro spécial « Augiéras » (par Gilles Brochard)

 

Gilles Brochard : Maxime Dalle, vous êtes le fer de lance de la revue littéraire Raskar Kapac qui a la volonté de mettre en avant des esprits libres, des écrivains ou des aventuriers qui ne craignent pas d’être des exemples pour des lecteurs et des admirateurs en dehors des modes.

Est-ce une provocation de célébrer aujourd’hui François Augiéras, ce « fils de la lumière », comme vous le faites dans ce numéro hors-série ?

Maxime Dalle : Si par « provocation », l’on entend « appel à inciter » comme le suggère l’étymologie du mot, alors oui, ce numéro est une provocation à découvrir l’œuvre d’Augiéras. Ce qui rend scandaleuse l’œuvre de ce périgourdin mystique, c’est sa dimension rimbaldienne. Augiéras est imprenable. Dès l’âge de quinze ans, il se considère lui-même comme un vagabond, un jeune homme en quête qui ne cessera toute sa vie de pérégriner dans le Sahara marocain, sur le mont Athos, en Grèce, avec les ermites orthodoxes, mais aussi et surtout en Dordogne qui est son pays d’élection.

Dans notre dossier, Christiane Rancé évoque la dimension irrécupérable de cet homme qui fut considéré par l’Etat civil comme « sans profession » : « Augiéras est archaïsant avec une volonté de destruction sauvage (…) Son horizon est d’ailleurs plus proche du paganisme que du socialisme, sans qu’il n’ait rien d’un fasciste, car Augiéras ne se serait accommodé d’aucun ordre. Son homosexualité, enfin, est tellement transgressive qu’elle ne peut être brandie en exemple par quiconque ». Il règne autour de cet antimoderne préhistorique une odeur de soufre parce qu’Augiéras a refusé de vivre comme un Occidental repu. Il est hors-normes. C’était un errant, un visionnaire qui souhaitait créer une nouvelle civilisation cosmique.

Ce numéro spécial de Raskar Kapac se présente sous un format-accordéon, à déplier délicatement, comme un parcours initiatique ou une échelle sainte à gravir. Il est l’occasion de commémorer les cinquante ans de la disparition d’Augiéras. D’ailleurs, pendant toute cette année, nous aurons la chance de redécouvrir Augiéras par des événements, des expositions et des publications chapeautés notamment par Thierry Keller de l’office de tourisme de Domme (Dordogne).

 

Gilles Brochard : Quelle place tient-il aujourd’hui dans la littérature française et au-delà ? Est-il un réprouvé, un mystique sensuel ou un sage incompris, sans cesse à la recherche de l’homme nouveau ?

Maxime Dalle : Augiéras demeure « un phare souterrain » pour reprendre les mots de Jean Chalon, son exécuteur testamentaire. Il n’est pas connu du grand public. Découvrir Augiéras, c’est se plonger dans sa grotte de Domme où il vécut jusqu’à la fin de sa courte vie, s’exerçant à la méditation solitaire. C’est aussi pérégriner avec lui sur le mont Athos où il se cherche un destin d’anachorète profane, c’est marcher sur le sable du Sahara pour contempler un ciel criblé d’étoiles… Augiéras est comme un cierge secret que l’on se passe en relais, de main en main. A sa suite se dégage une tribu de disciples bigarrés. Notre numéro de Raskar Kapac réunit quatorze plumes et pinceaux hétéroclites. L’on y trouve aussi bien le peintre catalan Miquel Barceló très inspiré dans son travail par la peinture d’Augiéras, que Paul Placet, son meilleur ami, ou encore les écrivains Stéphane Barsacq et Gilles Sebhan. Ce qui nous réunit tous, c’est la prose sublime de cet artiste exalté, son goût désintéressé pour la contemplation solitaire du monde.

 

Gilles Brochard : Augiéras était-il une sorte de dieu Pan ou un écologiste avant la lettre, toujours fasciné par les grottes et les cours d’eau, communiant avec les éléments, entre paganisme et aspiration vers le ciel ?

Maxime Dalle : Augiéras est un païen mystique et panthéiste. Dans notre grand entretien avec Paul Placet, l’on essaie de saisir la spiritualité singulière de cet homme. Augiéras observe avec désir la nature sensuelle qui l’entoure : la caverne et sa roche avec laquelle il communique : « De lourdes gouttes d’eau tombent régulièrement de la voûte, et s’écrasent sur mon visage et sur mes mains, comme si la terre pleurait sur ma détresse », dit-il dans son ultime manuscrit Domme ou l’essai d’occupation.

Augiéras aime écouter l’eau frémissante de la Vézère, adore contempler le pic du Mont Athos comme une incitation à aller plus haut. Cette géographie sensible éveille en lui une véritable spiritualité écologique. Il y a du druide chez Augiéras sous sa barbe d’ermite inspiré. Dans le Voyage des morts, il écrit cette très belle phrase : « Pieds nus sur le sable, athée, je n’étais pas sans âme. J’avais trop souffert de l’indifférence des hommes à la beauté du monde pour n’aimer pas la prière ». Augiéras avait une âme de prophète solitaire, homme des cavernes attiré irrémédiablement par le ciel.

 

Gilles Brochard : Que faire aujourd’hui pour inciter la nouvelle génération à se pencher sur une œuvre en décalage avec notre époque, mais qui compose avec une littérature inclassable, rompant avec toute idéologie et qui tente de faire la synthèse entre la libération des corps et l’imaginaire comme source de la grâce ?

Maxime Dalle : Il faut lire toute son œuvre qui est dorénavant disponible dans Les Cahiers Rouges de Grasset et aux éditions de Minuit. Pourquoi ne pas commencer par son dernier manuscrit, son récit le plus fougueux et le plus radical, Domme ou l’essai d’occupation ? Augiéras y raconte son expérience de solitude extrême dans une grotte périgourdine. Il échafaude les rites et les fondements d’une nouvelle civilisation qui s’accorderait enfin avec la Nature et l’Univers.

Derrière son intemporalité, Augiéras est un écrivain d’avant-garde. Il s’adresse aux cœurs sensibles, à ceux qui ne veulent pas perdre leur vie à la gagner, à tous ceux qui souhaitent emprunter les lignes de crête et « les réseaux asociaux » pour reprendre la formule de Sylvain Tesson. Toute une partie de la jeunesse rêve de grands horizons, d’aventures existentielles ; alors sans doute qu’Augiéras peut être un roc sur lequel on s’appuie pour échapper à une existence dépourvue de sens et oser la vie philosophique.

Le dernier Raskar Kapac consacré à François Augiéras est à commander sur le site de la revue : www.raskarkapac.com

 

Entretien mené par Gilles Brochard


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