Entretien avec Jean-Luc Romero, conseiller régional d’Ile-de-France
Nous recevons aujourd’hui Jean-Luc Romero, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre : SurVivant ! Mes 30 ans avec le sida (Ed. Michalon) Une œuvre documentée, mêlée un peu par la genèse du virus du sida et l’histoire vraie de l’auteur. Une si belle leçon de courage !
Pour revenir à l’auteur, il est le seul homme politique de la République française à avoir révélé sa séropositivité. Maire adjoint du XIIe arrondissement de Paris, chargé du Tourisme et de la Culture. Conseiller régional d’Ile-de-France. Investi par Anne Hidalgo, maire de Paris, d’une mission spéciale sur le tourisme LGBT et la nuit à Paris. Etc.
Michel Tagne Foko : À un moment, dans votre livre, vous parlez du 3e congrès d’Africités, qui se déroulait au palais des congrès à Yaoundé au Cameroun, et qui rassemblait de nombreux élus, chefs d’État, ministres, etc., où vous deviez intervenir, militer un petit peu. Comment expliquez-vous le manque d’intérêt pour ce genre de débat ?
Jean-Luc Roméro : Ce congrès qui a eu lieu, il y a quand même quelques années, m’avait beaucoup marqué parce que, évidemment, moi, je ne pouvais pas en ayant en face de moi un nombre de responsables de pays d’Afrique subsaharienne, où il y a parfois un nombre considérable de personnes qui vivent avec ce virus, et qui faisaient comme si ça ne les concernait pas. Et c’est vrai que j’ai eu besoin de dire : « vous savez dans cette salle, en invoquant, bien sûr, ma propre situation, il y a euh… je ne sais plus quel pourcentage j’avais donné… un certain nombre de personnes qui sont porteuses obligatoirement du VIH ». Et ça avait suscité des réactions choquées d’un certain nombre de gens alors que je ne faisais que dire une vérité, mais ils ne voulaient surtout pas qu’on le dise. Vous savez, c’était quand même encore à l’époque où vous aviez le président Thabo Mbeki, président sud-africain, qui disait qu’il n’y avait encore aucun lien entre le VIH et le sida. Et surtout qu’il disait, dans un pays où il y a 20% de la population qui est séropositive, qu’il ne connaissait personne qui vivait avec le virus, ce qui avait d’ailleurs amené Mandela à annoncer publiquement la mort de son fils du sida.
Je pense qu’il fallait dire à ces responsables politiques africains : « mais enfin, portez cette question. Vous, vous ne vous gênez pas pour venir vous faire soigner à Paris en cachette, et vous laissez votre peuple mourir, vous n’abordez pas ces questions, alors que c’est un problème majeur de santé publique en Afrique ». Ça a un peu évolué heureusement depuis, mais c’est vrai que la parole des responsables politiques, à cette époque-là, était parfois tout à fait scandaleuse et souvent stigmatisante pour les personnes qui vivaient avec ce virus (…), moi j’ai voulu à un moment pointer ça et c’est vrai que ça n’a pas plu à tout le monde, mais je ne regrette jamais ce moment où j’ai certes choqué des hommes politiques africains.
En vous lisant, c’est comme s’il y a une sorte de jubilation, comment expliquez-vous cela ?
Qu’est-ce que vous voulez dire par jubilation ?
Par exemple, lorsqu’on ouvre le livre, vous parlez de Survivant. « Sur », « Vivant ». Vous expliquez qu’on vous donnait mort, qu’on n’attendait pas de vous de survivre, etc., la manière dont vous accentuez le mot, la phrase : « 30 ans après je suis toujours là », etc.
Bah, c’est-à-dire que, vous imaginez quand vous avez cru que vous ne connaîtriez jamais vos 30 ans, vous vous rendez compte que… c’est pour cela que je joue beaucoup avec « 3 » et « 0 », qui est un chiffre, un nombre qui revient assez souvent dans ma propre histoire. Évidemment, c’est assez incroyable d’imaginer que vous avez survécu à ce virus tant d’années alors que vous vous croyiez condamné. C’est vrai que je commence un peu le livre par ça d’abord, en expliquant un peu ce titre, « pourquoi survivant » ? Et en fait, ce titre a un double sens. Survivant par rapport à tous mes amis qui sont morts quasiment, ce qui est quand même quelque chose de terrible, et en même temps, le grand paradoxe, c’est pour cela que je mets un « V » majuscule à « vivant », parce que sachant que j’étais a priori condamné j’ai vécu peut-être plus intensément que je ne l’aurais fait si je n’avais pas été avec ce virus (…) Quand on fait un livre comme ça, 30 ans après, c’est aussi une espèce de bilan (…)
Parlez-nous de ces 36 milliards de dollars par an, que vous préconisez pour éviter la mort des personnes atteintes du virus du sida. Sur quoi vous basez-vous pour avoir ces chiffres ?
Aujourd’hui, on sait qu’on peut avoir un monde sans sida, c’est-à-dire faire disparaître le sida, ce qui serait la première fois qu’on pourrait faire disparaître un virus sans vaccin, mais grâce aux traitements. Et pour ça, il faut de l’argent pour que tout le monde puisse accéder aux traitements. Je dis dans ce livre que j’ai la chance de vivre dans un pays riche où toutes les personnes qui sont sur notre territoire : sans-papiers, français, pas français, etc., ont droit à ce traitement… Dans les pays du sud, il y a plein de gens qui continuent à mourir puisque aujourd’hui ça doit être à peu près plus de 3200 personnes qui vont mourir du sida dans une espèce d’indifférence glacée. Et donc, il faut une volonté politique ! Maintenant, comme l’ont eu Jacques Chirac et Lula, qui ont été les présidents à prendre vraiment à bras-le-corps le problème, c’était à un moment où on disait : « dans les pays du sud, de toute façon, ils ne sauront pas prendre les traitements, c’est impossible, etc. ». Mais ils ont dit que ce n’est pas possible de penser qu’en France, en Europe, aux États-Unis, les gens ont des traitements et vous allez en Afrique ou en Asie, les gens n’y ont pas droit, c’est tout à fait insupportable. Et donc, ils ont créé ce qu’on appelle le fonds mondial contre le sida. Ce fonds mondial a besoin de 20 milliards, 25 milliards pour an pour faire que toute personne qui a besoin d’un traitement l’ait. Et aujourd’hui malheureusement, on est à 13 milliards par an, donc loin de l’objectif. Et c’est quand même terrible de savoir qu’on a cette fois-ci la possibilité d’éradiquer un virus de la planète, qu’on sait comment faire, mais malheureusement il n’y a pas de volonté politique, il n’y a pas assez d’argent, donc on stagne. Et l’objectif qui est celui de l’Onusida, qui est un organisme qui dépend de l’ONU, de faire disparaître le sida en 2030 serait difficile à atteindre si les responsables politiques n’en ont pas conscience (…). C’est un peu le cri de colère que je donne dans ce livre ! (…)
Ça veut dire que les 36 milliards que vous écrivez sont les chiffres de L’Onusida ?
On a à peu près calculé ce qu’il fallait pour faire disparaître le VIH, faire surtout que toute personne qui en a besoin accède à ces traitements qui ont certes fortement baissé, aujourd’hui vous avez parfois des traitements à 1 dollar par jour, mais aujourd’hui plus de la moitié des personnes qui en ont besoin ne bénéficient pas d’un traitement dans le monde, ce qui fait qu’aujourd’hui on continue à mourir du sida alors qu’on ne devrait plus, en tout cas pas dans ces proportions-là…
Selon vous, l’écriture peut-elle être une forme de thérapie ? La pratiquez-vous ?
Oui. L’écriture pour tout le monde, vous savez, moi c’est mon dixième livre, tous ceux qui écrivent, surtout quand on parle d’un sujet qui vous concerne, il y a bien sûr une certaine forme, plutôt que d’aller, moi je ne vais pas voir de psy, c’est une façon bien sûr de poser les choses, mais j’essaye de la poser de telle manière à ce qu’elle soit utile (…). Ce livre c’est d’abord un livre d’espoir !
Parlez-nous un peu de l’ADMD et de l’ELCS
L’ADMD, c’est l’association pour le droit de mourir dans la dignité, c’est une association qui réunit un peu plus de 68.000 adhérents et qui se bat pour une loi sur la fin de vie, qui permette à celui qui meurt de décider, parce qu’aujourd’hui c’est toujours ceux qui sont autour du lit qui décident, notamment les médecins, etc. Et nous, on veut une loi qui permette, d’un côté, l’accès universel aux soins palliatifs, qui est l’un des grands échecs de notre pays puisqu’à peine 20% des gens peuvent en bénéficier. Et de l’autre côté, la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, parce qu’en France la loi, elle vous permet certes de dire stop : on vous endort, on arrête de vous alimenter, de vous déshydrater, et vous pouvez mettre trois semaines à mourir. Mais nous on trouve que ça peut être une mort à petit feu et que ça n’est pas normal qu’on n’offre que cette possibilité-là. Nous on voudrait qu’il y ait la possibilité de l’euthanasie, c’est-à-dire qu’on vous endort, vous partez en quelques secondes, entouré des vôtres. Je pense que c’est ce qu’il devrait se passer dans un pays humaniste (…) L’ADMD se bat pour cette loi qui est voulue par quasiment 90% des Français, tous les sondages depuis 20 ans nous disent ça !
L’ELCS, c’est une association d’élus, partant du principe que, on l’oublie souvent, la plupart des élus locaux, je pense aux conseillers municipaux, ils sont partout dans le pays, ils sont des centaines et des milliers, ce sont des bénévoles qui ont la même fibre souvent que des militants associatifs, ils sont là pour faire avancer les choses dans leurs villages, dans leurs villes, etc. Et je me suis dit qu’ils pourront nous aider à relayer les messages de prévention, d’aide aux malades, et surtout d’apprentissage de l’acceptation (…)
Entretien mené par Michel Tagne Foko
Chroniqueur, écrivain, éditeur. Membre de la société des auteurs du Poitou-Charentes.
Extraits du livre :
« Ce virus qui tue dans des souffrances atroces est en moi. Il me ronge déjà. Peu à peu, il devient moi. Et c’est moi qui disparais pour lui laisser la place ».
« Le sida, ce compagnon de trente ans, m’a conduit à me surpasser, à vivre certes différemment, mais aussi plus fort et plus intensément. Il m’a obligé à faire tout, tout de suite, me laissant si peu de temps. Jouant avec ma destinée bien mieux que n’importe quel dieu ».
« À 28 ans, on se croit souvent invincible ».
« Les symboles et la parole sont également essentiels dans ce combat collectif que nous nous devons de mener, car il ne faut plus taire cette maladie. Il faut en parler (…), faire tomber ce sentiment scandaleux de honte qui l’entoure et il faut utiliser des symboles, voire des exemples ».
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