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Entretien avec Eric Arlix

Ecrit par Marie du Crest 07.12.12 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Entretien avec Eric Arlix

 

 

LE 14 novembre dernier, au théâtre des Ateliers, à Lyon dans un petit bureau avec vue sur la Saône, je rencontre Eric Arlix, auteur de Programme. Il vient assister à la deuxième version de l’installation sonore, visuelle, présentée déjà dans ce même lieu en 2011, née de son texte.

Eric Arlix est auteur, et éditeur. Il travaille « à quatre mains » avec Jean-Charles Massera : Programme est suivi d’ailleurs du Guide du démocrate, coécrit par les deux auteurs.

 

Marie Du Crest : Eric Arlix, Quelle est la genèse de « Programme » ?

Eric Arlix : Il s’agit en fait d’une commande du Mac/Val, qui s’inscrit dans la collection « fiction ». Lors de l’exposition d’un artiste, le musée demande à un auteur un texte de fiction (ne relevant pas du commentaire d’histoire de l’art), qui renvoie aux œuvres de tel ou tel artiste. Dans Programme, ainsi fais-je référence à une cinquantaine d’œuvres de Starling qui constituent en quelque sorte un décor. Je ne connaissais pas personnellement Starling mais j’étais intéressé par son travail. Texte et dessins de l’édition ont été créés de manière autonome. J’ai finalement rencontré Starling six mois après la fin de la rédaction de mon texte, au vernissage. Les graphistes, auteurs des dessins ont eux aussi proposé leur propre univers. En fait ce que j’apprécie dans une telle démarche, c’est l’esprit de cette collection, offrant un petit livre à 3 euros et fondé sur un projet collectif.

 

Marie Du Crest : Il semble que vous aimez établir des ponts entre votre travail d’auteur et celui d’autres artistes en vue de diverses collaborations ?

 

Eric Arlix : En ce qui concerne le strict travail d’écriture, j’ai jusqu’à présent écrit à quatre mains uniquement avec Jean-Charles Massera pour le Guide du démocrate. Mais c’est vrai, lorsque deux univers se rejoignent, selon le hasard des propositions, j’aime les collaborations. Ainsi avec le photographe Roberto Martinez, j’ai écrit le texte de Ma jolie maison. En qualité d’éditeur, je travaille aussi sur des textes avec de jeunes auteurs.

 

Marie Du Crest : Justement comment a été mise en œuvre l’installation de « Programme » aux Ateliers ?

 

Eric Arlix : Tout d’abord, je n’imaginais pas que mon texte puisse avoir une seconde vie. Le fait qu’il soit édité par un musée d’art contemporain l’écartait du circuit littéraire habituel : il était plutôt rattaché aux arts. Le texte, sorti en janvier 2010, a eu peu d’échos dans la presse. Il était peu présent en librairie. Finalement c’est Nicolas Lespagnol-Rizzi qui est le principal initiateur de ce prolongement du texte. J’ai découvert en 2011 la première version de l’installation, les yeux fermés, avec la lumière sur soi, le casque sur les oreilles. Depuis lors, des détails techniques ont été repris comme la remastérisation du son, pour permettre une meilleure écoute de la voix de Pierre Germain qui dit le texte, et la reconfiguration de la lumière. Mais l’essentiel est inchangé.

 

Marie Du Crest : Ne pensez-vous pas que le TU qui caractérise votre texte explique justement l’esprit de l’installation ?

 

Eric Arlix : En effet. J’ai toutefois déjà écrit à la seconde personne, en m’adressant au lecteur, notamment dans Le monde Jou publié chez Verticales. Ce texte a été monté à Toulouse dans la logique du théâtre non-frontal. L’acteur s’adressait au spectateur. Ici le dispositif nous plonge non pas dans une représentation mais dans une mise en situation réelle. Le spectateur-auditeur devient en quelque sorte le programmé du texte. Il est avec soi. Il n’y a rien à voir. Il s’agit de suivre ce qui pourrait être une séance de coaching ; un parcours de santé ; un jeu vidéo. L’individu programmé subit ce parcours visant la performance chère à notre époque. Tout est simulé. Il faut franchir des obstacles, des niveaux pour réussir, pour comme je le dis « ne pas être un homme en panne ». Tout ceci implique évidemment une certaine violence, une humiliation du programmé. Un peu comme nous le voyons dans des émissions de télé-réalité. Une jeune fille de dix-sept ans, participante à ce genre d’émission met sa vie en jeu en répondant de telle ou telle manière à une question et nous la regardons prise dans ce piège.

 

Marie Du Crest : Vous employez par exemple le mot pignouf contre le programmé ?

 

Eric Arlix : Oui, j’aime bien ce mot, c’est une insulte mais décalée. Il fait partie de ces expressions en italiques qui jalonnent le texte comme les slogans publicitaires. J’introduis dans mes propres textes ces mots dérisoires, et prétentieux à la fois, débilisants et par là-même magnifiques. J’ai, par exemple dans un texte antérieur Et hop ! utilisé une centaine de slogans au milieu du texte avec un noir à 70/°. Tout ceci témoigne de notre époque. Le programmé à la fin, de manière ambiguë, semble échapper à ces injonctions de performance personnelle, professionnelle ou sexuelle. Mais est-il réellement sorti du programme ?

 

Marie Du Crest : Diriez-vous alors que vos textes sont politiques ?

 

Eric Arlix : Je me méfie de ce terme trop galvaudé. En revanche, c’est vrai que j’ai un regard acerbe sur notre monde. Ce qui est véritablement en jeu, c’est pour chaque livre, trouver de nouvelles formes, des langues différentes. Les livres sont des outils. On fait quelque chose avec. Dans Le monde Jou, je demandais au lecteur d’agir, de poser son livre, de le reprendre etc.  Dès lors il s’agit bien d’une position artistique et politique. C’est sans doute ce qui explique que je ne puisse pas m’engager dans l’univers romanesque. Inventer des rebondissements, élaborer la psychologie du personnage, ça bug très vite chez moi. Les écritures contemporaines ont d’ailleurs du mal à trouver leur place sur l’échiquier littéraire français actuel. Le texte Féerie générale d’Emmanuelle Pireyre,  récompensé par le prix Médicis 2012 fait exception.

 

Marie Du Crest : Par delà cette vision assez sombre, vous êtes aussi dans l’humour. Pourquoi ?

 

Eric Arlix : Chacun d’entre nous sait que le rire, l’humour tiennent une place prépondérante dans la vie des gens. Les meilleures ventes de dvd, les entrées de cinéma les plus nombreuses sont celles des comédies. Des millions de gens regardent sur internet les vidéo-gags. Les humoristes remplissent les salles. Et pourtant dans l’art, depuis des siècles, le rire est perçu comme bas, équivoque. Il me semble nécessaire et cohérent au contraire dans mes textes, lié intrinsèquement à la recherche formelle, à la dimension critique. C’est aussi l’humour dévastateur de Massera que je rejoins. Lui parle d’ailleurs de « travailler la langue de l’ennemi ». Et le comique entre dans cette configuration-là. Ainsi tout entre dans le projet qu’est un livre pour moi.

 

Entretien mené par Marie DuCrest


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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.