Enfin le royaume, François Cheng (par Patrick Devaux)
Enfin le royaume, Quatrains, février 2019, 224 pages, 7,40 €
Ecrivain(s): François Cheng Edition: Gallimard
Les poèmes de François Cheng sont autant de raccourcis de temps où s’invitent la permanence et la continuité : « A l’apogée de l’été/ Retient ce qui a été : / Tous les fruits suspendus/ Toute la soif étanchée ».
Avec son éternelle soif de l’attente, quel que soit le moment et quelle que soit l’attente, le poète est à la fois dans l’expectative et l’émerveillement nourri d’optimisme incité par une source initiale coulant en filigrane : « Toi, tu entends le bruit des étoiles qui passent ».
C’est que ce poète de stature a besoin de cet écho multiplié pour se rendre à l’évidence de sa plénitude qu’il compte bien transmettre à autrui : « Tout d’ici t’est offert, offre, toi à ton tour ! ».
Si parfois le crépuscule « s’exténue », c’est pour mieux se rendre à l’évidence d’un matin tournant la page à l’appui de « l’habitable étincelle » puisque « Ici/ Nous avons tracé le trait/ Nous avons laissé vacant/ Afin qu’un jour advienne ».
La grande ouverture d’esprit de cette pensée majeure, presque hors normes, lui permet de voir son âme à travers celles d’autrui. La violence des éléments n’a d’égale que la douceur des aboutissements : « De l’eau naît la flamme/ De la flamme l’air/ Mêlé au pur souffle/ D’une biche endormie ».
Le sens du partage passe, de toute évidence, par un questionnement à autrui « (à moins que cela ne soit à un autre soi-même ou notre “âme”) : “Nuit après nuit si je t’enténèbre/ me passeras-tu ton feu ?” ». Le poète a cette belle conscience d’être lui-même, « car vivre, c’est savoir que tout instant est rayon d’or/Sur un océan de ténèbres, c’est savoir dire merci ». Sans cesse en partage dans l’idée de l’autre, l’auteur sait cependant que « La mort qui rend tout unique est l’unique accès/ A la transformation ». Ce qui paraît évident rend Dieu lui-même impuissant : « Face à elle, on laisse tout/Gardant seul ce que Dieu même ne peut remplacer/L’amour inachevé d’une âme singulière ». Parfois à un tournant de l’idée, semble surgir l’âme de Basho, avec, par exemple : « Un regard/et justifiée toute la vie ».
Subsiste dans cette pensée quelque chose de l’étoile inaccessible.
La dernière partie des quatrains nous ramène à notre condition humaine dans ce qu’elle a parfois de plus tragique avec « déracinés, les humains seuls dans l’ignorance ».
Heureusement, l’Art sauve qui « se découvre don entre des mains porteuses » (« Entre des mains porteuses, tout se découvre don »), avec aussi cette sorte de foi qui soulève des montagnes puisque « Rien ne peut forcer la patience/Des branches en fleurs ».
Style maîtrisé d’un talentueux Académicien dans une poésie équilibrée où « résonnent les pas d’un Dieu en errance ».
Patrick Devaux
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