Encres lacérées, Muriel Augry (poèmes), Philippe Bouret (encres) (par Murielle Compère-Demarcy)
Encres lacérées, Muriel Augry (poèmes), Philippe Bouret (encres), éditions CronEdit, 2020, trad. roumain, Valeriu Stancu, préface Emmanuel Pierrat, 62 pages, 12 €
La démarche diffère de celle poursuivie dans la plupart des créations littéraires du psychanalyste-auteur Philippe Bouret, à savoir qu’il s’agit avec Encres lacérées d’un accompagnement graphique de textes écrits postérieurement.
Muriel Augry – poétesse, essayiste et nouvelliste, distinguée en 1990 pour son essai Le cosmopolitisme dans les textes courts de Stendhal et Mérimée (éd. Slatkine) par le Prix Roland de Jouvenel de l’Académie française – a en effet, ici, écrit des poèmes à partir des Encres de Ph. Bouret.
La particularité de ce recueil consiste également dans une présentation bilingue des textes (français-roumain) – opus par ailleurs publié par des éditions sises à Iaşi en Roumanie où Muriel Augry dirige depuis 2019 l’Institut français de Roumanie.
Le désir aux diverses figures imaginaires et des fantasmes passe, des dessins aux poèmes et a posteriori vice-versa, par le processus alchimique des vases communicants. Tant, que l’on ne saurait dire à première lecture qui, de « la poétesse reconnue (ou du) psychanalyste-écrivain mué en dessinateur » (Emmanuel Pierrat) a le premier posé une goutte une bribe une lame d’acier du Logos-Eros du monde.
En équilibre
Elles somnolaient
Pour mieux savourer les gouttes de réveil
În echilibru,
Somnolau
Pentru a savura mai bine fᾰrîmele de trezire
Car il est incontestable que la puissance érotique au sens charnel et spirituel (éprouver l’élan de l’amour) circule dans ce monde-langue d’Encres lacérées que le langage génère par la vision d’un monde entrelacé dans les volutes du désir, de la quête de l’autre, mu par la cinétique et le thyrse-sceptre d’une volonté combattive féminine (« dard / de la sagacité ») enrubanné de pampres fallacieux (« draps tissés d’orties ») ou délicieux (« de chair embrasées »), enveloppé d’une douceur ferme non hermétique, femmes-« roseau(x) » elles-aussi (é-)perdues ad finem dans le (men-)songe de « l’étang muet ».
Elles étaient, titre le premier mouvement, suivant les femmes dans leur cheminement jusqu’où « Elles iront »… Femme-Avenir dessinée recréée par ces « éfemmérides » d’« elles » ou « éfemmeros » en perpétuels mise à mort et devenir.
L’ouverture à l’Autre, au monde extérieur s’opère avec d’autant plus d’acuité que la genèse de cet opus est à relier au contexte de crise sanitaire que la planète subit depuis mars 2020 avec la mise en place d’un confinement (« Le contexte actuel de confinement convie paradoxalement à une ouverture sur l’autre et sur l’ailleurs », précise Philippe Bouret). Les encres, fortes, de Philippe Bouret, au fer de lance magnétique, rejoignent le noir dense des poèmes de Muriel Augry. Le verbe et le pinceau nous convient à une danse de filles « vêtues de fils d’acier », « cohortes » de « filles du Feu » dont les morsures du corps font la chair ardente du monde, le vif-argent des mots, nous envoûtant nous entourant de leur frénétique « assaut de désirs vrombissants ».
Le caractère bilingue de la publication offre un univers agrandi par le brassage des interprétations idiomatiques et imagées des particularités linguistiques. Le focus de poèmes aussi profonds que la densité concise diffusée par le haïku ou autre forme brève poétique, rassemble des souffles de femmes-bord, couleur de Liberté, qui « écrasent les obstacles » dans le feu de leur combat.
La poésie abolit les frontières par le Soleil levant d’un langage alchimique dont la langue aux lames acérées affûte l’« éventail des passions » sur « la carte du devenir ».
Encres lacérées est le cri du signe iconographique et de la lettre entremêlés noué/dénoué dans le poing de « l’audace de l’être ». Poing d’une résilience, d’une alliance du texte et de l’image, osant l’audace de dire : l’audace du Dire.
Murielle Compère-Demarcy
Née à Paris, Muriel Augry est poétesse, essayiste et nouvelliste. Docteur ès lettres de l’Université de Paris Sorbonne, elle a enseigné à l’Université de Turin, puis exercé différentes fonctions dans la diplomatie culturelle en Italie, au Maroc et en Roumanie. Elle a reçu en 1990 le Prix Roland de Jouvenel de l’Académie Française, pour son essai Le cosmopolitisme dans les textes courts de Stendhal et Mérimée (ed. Slatkine).
Philippe Bouret est psychanalyste à Brive-la-Gaillarde et auteur de plusieurs ouvrages. Il s’intéresse particulièrement aux liens entre la psychanalyse et l’art.
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