Encore et jamais, variations, Camille Laurens
Encore et jamais, variations, 2013, 192 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard
C’est fini ? Recommence alors…
Il pourrait y avoir comme un paradoxe à écrire des « variations » sur la répétition. La variation, c’est le changement, la diversité, l’écart. On lui attribue des vertus : le changement est bénéfique, dit-on. La répétition, elle, est monotone, on l’associe à l’ennui. Or, dans Encore et jamais, Camille Laurens nous explique que la répétition se décline, elle est plurielle, toujours la même mais jamais identique. Encore, donc, mais jamais, aussi. Un recommencement renouvelé à chacun de ses débuts. Chaque répétition, quoi qu’on en dise, reste unique… Le paradoxe n’est alors qu’apparent.
38 variations se « proposent d’explorer les pouvoirs de la répétition dans nos vies ». « Répétons-nous pour notre malheur ou notre plaisir ? Répéter est-ce vivre à grandes guides ou bien mourir à petit feu ? » nous demande Camille Laurens, dans son « avant-dire ». Pour y répondre, elle chemine. Nous emporte d’abord à travers un souvenir, peut-être le premier lié à la répétition, où s’origine ce livre. C’est celui de sa grand-mère refaisant chaque jour les gestes immuables du ménage qui amène l’auteur, encore enfant, à s’interroger :
« Et si routine et ressassement formaient l’essence du féminin » ?
Camille Laurens nous entraîne ensuite dans divers univers où la répétition se dit mais dit autre chose que dit le sens commun, la doxa. La danse contemporaine, par exemple, « qui élève la répétition au rang de concept majeur » dans la mesure où de la reprise naissent l’émotion et la réflexion. Les enfants, pour qui la répétition est tout sauf ennui et que contrarie « la moindre variante ». Les chansons et la force d’un refrain qui nous fait revenir à nous-même : « Nous sommes les revenants de nos chansons ». De même, en musique, c’est dans « la petite phrase qui revient, le leitmotiv qui signale, la cadence qui rythme, la reprise du thème » que Camille Laurens éprouve joie et plaisir.
Pourtant, la répétition est souvent réprimée, condamnée, pourrait-on dire. A l’école, on souligne les redites des élèves. Il faut varier le vocabulaire, l’enrichir. L’auteur eut même à corriger, en CM2, des passages de Stendhal, Dumas, Montesquieu ou Balzac dans lesquels se trouvaient des répétitions, crime littéraire absolu… Et Camille Laurens, amusée, amusante, de proposer la correction d’un extrait de Marguerite Duras, en déclinant les synonymes du verbe « dire » répété à plusieurs reprises.
« Ne le répète jamais » s’était-elle entendu dire, alors qu’elle apprenait à sa grand-mère ce que lui faisait son grand-oncle. Il ne faut pas répéter les secrets, moins encore s’ils sont de famille. Et pourtant, ils se répètent. Ça se répète. La tragédie, comme dans les pièces antiques, traverse les générations. L’écrivain, le 7 février 1994, perdait Philippe, son enfant, mort à peine né. Le 15 décembre 1958, sa mère perdit un enfant né la veille, à la maternité. « Le 7 février 1994, j’ai répété quelque chose qui lui était arrivé à elle, j’ai repris le flambeau mortuaire ».
Ces variations où le thème rencontre le sujet, où la répétition croise Camille Laurens révèlent queEncore et jamais est bien plus qu’un essai. Il est une magnifique réflexion dans tous les sens du terme : une pensée – juste et fine – mais aussi un retour à soi. A l’être intime. Il est le livre de la vie qui nous rappelle à la vie. A ses retours, ses redites, ses reprises, ses ressassements. Seule la Mort, Elle, ne se répète pas…
Arnaud Genon
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