En surface, Christine Guinard
En surface, éd. Eléments de Langage, mars 2017, 64 pages, 12 €
Ecrivain(s): Christine Guinard
Suspendez votre temps terrestre, délaissez les ornières de la politique discriminatoire et prêtez les sens à cette météorite poétique, l’une de celles qui m’ont le plus marqué – et durablement – ces dernières années.
Plongée poétique
« En surface explore la puissance irradiante du jeu de l’enfant » peut-on lire au coin de l’une des dernières pages de cet OVNI-livret lunaire, à mi-chemin entre le livre pour enfants, justement, qu’on feuillette au gré des pensées du jour ou de la nuit, « au gré des courants d’images revenues », fabuleux terrain d’exploration des formes langagières et matérielles, toujours en mouvement puisqu’« il est métamorphoses », et du conte poético-initiatique, chaque mot-fragment déposé-comme-abandonné-flottant sur la ruine aux relents de houille de Rorschach devenant par l’alchimie du verbe de Christine Guinard et des peintures d’Elina Salminen le jalon d’un parcours des sens, au cours duquel briques, fenêtres, cailloux, lumières prennent leur pleine et entière sensualité comme si, tel que Sartre le conceptualisait, la poésie consistait bel et bien à choisir les mots pour leur ressemblance avec les choses.
Le village prend vie d’un souffle vierge, pur, tout est sensation, plus rien n’est évidence ni raison, les syntagmes sont dispersés, disloqués comme peut l’être le regard d’un enfant, raccrochant ses visions à ses mots, simples et vrais. Mais sur les arabesques à peine ébauchées affleurent quelques interrogations sur la nature humaine, puisque rien ne fait immédiatement sens, sous la chaleur accablante surplombant le clocher, à travers cette lumière tant recherchée par l’enfant : pourquoi ces hommes et leurs tristes conversations, leurs dialogues avortés, leurs rendez-vous ratés, incomplets, leur creux d’être au milieu de cette nature pleine et rayonnante où s’ébattent les mouettes au-dessus d’un pays plat, où le jeu d’un enfant prêt à s’envoler « infiltre » toutes choses et fait d’un petit bout de roche un caillou-camarade ?
Dans ce labyrinthe frangé de mots-microcosmes, nous suivons le cheminement d’un ange qui « RAYONNE » plus qu’un soleil et transmet son rayonnement par-delà le gris des feuilles tournées-tombées. Une (re)découverte du monde des choses, un brin de Ponge qui, lui aussi, ne dédaignait pas de faire parler ces muets incompris que sont les objets, mais aussi et surtout l’immersion au cœur même de la fabrique des sensations où, d’une essentielle naïveté, entre la « chaleur inconditionnelle » du soleil et les envolées des mouettes qui « exagèrent » se tisse le fil ténu d’un être-au-monde commun : celui de l’homme en quête de soi à travers l’Autre.
Hans Limon
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