En avant la chronique, Philippe Chauché (par Arnaud Genon)
En avant la chronique, Philippe Chauché, Éd. Louise Bottu, mai 2020, 174 pages, 16 €
Edition: Editions Louise Bottu
Dès la lecture des premières chroniques de Philippe Chauché, initialement parues sur le site de La Cause littéraire, et que les belles Éditions Louise Bottu rassemblent ici, le lecteur sait qu’il est face à une véritable écriture. Cela pourrait paraître étrange pour qui distingue l’écriture de « l’écrivance », les écrivains et les « écrivants » – néologisme par lequel Roland Barthes désignait ceux pour qui « le langage n’est qu’un instrument » (1) et non pas une fin en soi, comme c’est le cas pour les écrivains. Pourtant, le critique que l’on lit dans ces pages fait de l’exercice auquel il se livre depuis de nombreuses années un véritable travail d’écriture. En ce sens, il illustre ce que le théoricien Florian Pennanech a démontré dans une récente étude intitulée Poétique de la critique littéraire, De la critique comme littérature : « Le métatexte a ses procédés propres, qui peuvent l’amener à se déployer de façon relativement autonome. Il n’est pas nécessairement le simple ‘prolongement’ naturel d’un texte, non plus que l’humble serviteur, caméléon ou transparent, stérile ou parasitaire. Il n’est pas nécessairement non plus un sous-texte, mais éventuellement un texte à part entière, avec ses propres modalités et, il ne me déplaît pas de finir par-là, sa propre créativité » (2).
Dans le dossier réuni à la fin de l’ouvrage et dans lequel des auteurs, journalistes, critiques, livrent des réflexions sur la critique littéraire, Léon-Marc Lévy évoque, lui, ceux qui contribuent à « Effacer (atténuer) la frontière écrivains /critiques de livres […] », qui parviennent à « Amoindrir le clivage écrire sur l’écriture / écrire de l’écriture ».
Philippe Chauché est de ceux-là. Bien évidemment, il nous fait entrer dans les œuvres qu’il présente dès les premières lignes de chacune de ses chroniques. Ainsi, de Scrabble, de Michaël Ferrier (Mercure de France, 2019), il écrit que c’est « un lumineux livre de l’enfance, d’une enfance tchadienne, tous sens en éveil. Une enfance placée sous le regard des hommes et des bêtes. Une enfance au ras de la terre pour mieux s’en inspirer, l’enfance d’un écrivain, béni des dieux africains ». Il nous transporte dans le monde des auteurs abordés, mais à travers sa propre écriture, toujours nuancée, délicate, faite d’anaphores, de métaphores créées pour cheminer dans des œuvres à découvrir, pour ouvrir la voie de nos futures lectures. Il se montre dans chaque article sensible au « style » des écrivains, à leur « musique », à leur « langue », et ne s’arrête pas au seul « sujet » ou « thème » des œuvres, comme le fait souvent la critique des « grands » journaux, qui a bien compris qu’une promotion réussie consistait à vendre une histoire et non pas à présenter une écriture.
Philippe Chauché se livre, comme le note Josyane Savigneau dans le dossier final, à une « critique d’accueil » : « on analyse le livre, on veut donner envie de lire, on a un désir de partage, on ne craint pas d’admirer ». Que ce soient les romans, les recueils de poésie ou, plus rarement, les essais qu’il traite, qu’ils soient écrits par de grands noms (Philippe Sollers, Georges-Marc Benamou, Éric Laurent, Gabriel Matzneff, Pascal Quignard…), ou par des auteurs plus discrets (Roman Dormant, Patrick Dubost…), qu’ils soient publiés par de grandes maisons (Gallimard, Stock, Grasset) ou par de petits éditeurs (La Boucherie littéraire, Le Quartanier…), Philippe Chauché a toujours à cœur de mettre les œuvres en lumière. Celle dont elles manquent parfois dans les médias traditionnels, moins curieux, il est vrai, que les véritables défenseurs de la cause que représente dignement l’auteur de ces critiques qui sont une invitation à de nouvelles lectures et à de merveilleuses découvertes.
Arnaud Genon
(1) Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Roland Barthes, Seuil, 1984, p.70-71.
(2) Poétique de la critique littéraire, De la critique comme littérature, Florian Pennanech, Seuil, coll. Poétique, 2019, p.590.
Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit, travaille et écrit à Avignon. Journaliste à Radio France, il suit notamment le Festival d’Avignon. Il a collaboré à Pourquoi ils vont voir des corridas, publié par les Éditions Atlantica, et publie quelques petites choses sur son blog :
http://chauchecrit.blogspot.com
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