Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, Paule du Bouchet (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, mars 2020, 128 pages, 14 €
Ecrivain(s): Paule du Bouchet Edition: Editions Des Femmes - Antoinette FouqueLe livre de la mère
Paule du Bouchet écrit « les détours inouïs » de la vie douloureuse et lumineuse de Tina Jolas, sa mère. « Emportée » par son amour passion pour René Char, cette femme (aimée par sa fille) la quitte lorsqu’elle a 6 ans.
Sous forme de carnet intime où s’intercalent des fragments d’une correspondance échangée entre la mère et son amie Carmen Meyer, le texte met en jeu des séquences de vie bouleversées entre plusieurs subjectivités et enjeux de vérité. L’auteur évite toute polémique ou indiscrétion. Même lorsque René Char abandonna celle qui éprouva pour lui sa grande passion amoureuse. D’ailleurs son agonie commença lors du décès du poète.
Paule du Bouchet endura sans recours les départs et les disparitions de sa mère. Elle reste – contrairement à Betsy, sa sœur – une inconnue pour le grand public. Pour René Char, elle rédigea néanmoins une partie de l’appareil critique de l’édition de la Pléiade. Et elle connaissait admirablement Ossip Mandelstam, Emily Dickinson et William Shakespeare et traduisit plusieurs tomes du Seigneur des anneaux de Tolkien.
Le livre est complété des lettres que Tina Jolas échangea avec Carmen Meyer. Publié dans une première version en 2011, le texte devient « l’évocation du souvenir est aussi nécessaire que les pierres d’un gué pour traverser le courant ». Il est continuellement émouvant et juste au nom des parents désunis. « Ma mère nous échappait et c’était mon père dont je redoutais la disparition », écrit l’auteure en parlant de celui qui est un autre grand poète, André du Bouchet.
Paule sut fermer les yeux quand il le fallut ou lorsque cela était trop dur. Mais dans ce livre elle les réouvre en faisant abstraction de bien des larmes dues à celle qui fut « l’incarnation de ma détresse et l’incarnation de la lumière ». L’énigme demeure. Mais une telle évocation est fascinante par son écriture de vérité.
Un tel livre sous son voile de soie traîne derrière lui ce qu’il couvre d’or plus que les peines endurées et de l’absence de douceur à donner et à recevoir. L’auteure y reste aiguisée par la fulgurance d’une écriture dont la virtuosité donne le vertige.
Jean-Paul Gavard-Perret
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