Effacer sa trace, Malika Wagner
Effacer sa trace, mars 2016, 192 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Malika Wagner Edition: Albin Michel
Encore un ? Oui, encore un roman pour raconter la mort d’un père. Cet « invariant » de la psychanalyse continue d’irriguer la production romanesque (L’Absolue perfection du crime, de Tanguy Viel, 2001 ; La Chute de cheval, de Jérôme Garcin, 1998 ; etc.)
La littérature s’est éloignée, à force de réécritures, de l’enquête psychanalytique que constituaient au siècle dernier les récits de la mort du père, chez Samuel Beckett ou Claude Simon. Ce qui était à l’époque un thème de fiction passe maintenant l’épreuve du feu qu’écrivain-e-s, lectrices et lecteurs semblent unanimement exiger de tous les thèmes de fiction : la dissolution harmonieuse dans l’écriture autobiographique.
Le propos général est limpide : Malika Wagner parvient, à travers l’enterrement de son père en Algérie, à « effacer sa trace », à être soi-même en se délivrant du poids du passé qui la rattachait à l’histoire familiale et à cet « homme peu fréquentable » (p.8). C’est donc un roman optimiste sur la liberté individuelle, malgré l’incessant rappel de ses origines que la société française inflige à la narratrice dans la troisième partie, tant par des discriminations que quand des collègues bien intentionnés lui proposent de se trouver un pseudonyme plus « ronflant » que son propre prénom (p.172).
La grande qualité du roman est d’avoir construit ce propos, très audible, autour d’un épisode crucial, objet de la courte partie centrale, « Un perroquet dans la bibliothèque ». Un perroquet s’engouffre par la fenêtre dans la bibliothèque de la narratrice. La narratrice suppose, sans confirmation, que le perroquet vient d’un appartement voisin, et souhaite l’y replacer, mais « toute l’attitude [de l’oiseau] semblait proclamer : non, il n’y a aucune erreur, je suis à ma place et je sais parfaitement de quoi il retourne » (p.98).
Chez Flaubert, le perroquet représente la colombe du Saint-Esprit ; chez Malika Wagner, il vient aussi apporter un message. Le perroquet signifie à la narratrice que nous avons en nous le droit et le pouvoir de choisir notre appartenance, indépendamment de l’endroit d’où nous avons déployé nos ailes. Plus encore, que notre véritable liberté, le lieu où échapper à toutes les contraintes du passé, c’est la bibliothèque.
Ainsi s’explique, sans doute, la tonalité de comédie qui imprègne le roman et qui a été remarquée par la critique. La comédie est le genre littéraire le plus à même de tourner en dérision l’autorité du passé et les devoirs de la tradition, parce qu’elle y trouve un puissant ressort comique. Effacer sa trace est une ambition comique et le roman l’est indéniablement.
À la toute dernière page, pendant un ravalement de façade de l’immeuble, un ouvrier frappe à la fenêtre de la narratrice, comme autrefois le perroquet, pour demander un décapsuleur. Elle apprend qu’il est serbe et qu’il veut s’installer en France. Le père algérien, lui aussi, avait travaillé sur les échafaudages en arrivant en France. Cette dernière page, cet ouvrier serbe, ce perroquet (« père-roquet »), suggèrent finalement que la fille d’immigré, en « effaçant sa trace », ne s’est pas tant éloignée de son père qu’elle l’avait cru. Peut-être, au contraire, a-t-elle suivi ses pas qui conduisaient à s’inventer soi-même.
Pierre-Élie Pichot
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