Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen (par Patryck Froissart)
Écrits de nature, Atlantique Nord, Tome 3, Alexis Gloaguen, éd. Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles, 19 juin 2020, Ill. Jean-Pierre Delapré, 300 pages, 25 €
Le troisième volume des Ecrits de Nature d’Alexis Gloaguen vient de reparaître, republié par les Editions Maurice Nadeau-Les Lettres Nouvelles. Nous voilà mis en présence d’une œuvre singulière, celle d’un auteur découvert et promu en son temps par Maurice Nadeau, dont le fils, Gilles, actuel directeur de cette riche maison d’édition indépendante, a entrepris fort opportunément la réédition, une œuvre qu’on pourrait qualifier, par son écriture, son genre et sa thématique, de littérairement inclassable, mais à propos de laquelle il ne serait pas totalement farfelu d’inventer le terme contraire de « polyclassable ».
Et corollairement, de son contenu, par l’intérêt qu’il doit éveiller dès les premières pages chez tout lecteur, chez toute lectrice à l’esprit normalement épris de découverte, par ce qu’il peut lui apporter d’enrichissement, on dira légitimement qu’il est polyvalent.
Dans ce tiers livre, l’auteur emmène ses lecteurs dans les régions froides, a priori peu hospitalières, de l’Atlantique Nord, précisément à Saint-Pierre et Miquelon, à Terre-Neuve et dans le Labrador.
Alexis Gloaguen est un grand voyageur, observateur infatigable et éperdument amoureux de la nature devant laquelle il est en perpétuel émerveillement, dont il tente, mû par une curiosité insatiable, de percer les moindres secrets, d’analyser les plus occultes fonctions et les fonctionnements les plus discrets.
Alexis Gloaguen est un homme de savoir, un biologiste, un naturaliste, un géologue pourvu d’une somme impressionnante de connaissances, qu’il aime, c’est évident, partager tout en essayant de communiquer la grandeur, la beauté, la majesté de ce qu’il voit, de ce qu’il observe, de ce qu’il scrute, de ce qu’il découvre : oiseaux, mammifères, animaux marins, flore, paysages, formations minérales, atmosphères naturelles, spectacles diurnes et nocturnes du soleil, de la lune, des étoiles.
Les lichens se développent en auréoles. Les plus jeunes sont des disques pleins, les plus anciens se propagent en couronnes et laissent en leur milieu une agora retournée au roc. La densité des tissus est toujours nette sur les pourtours : là poussent de petits grappins allant se coller sur la pierre. Leur galaxie fuit son propre centre et se désarticule en arcs, restes d’un empire vert ou couleur de soleil.
Ainsi certaines villes se dépeuplent au cœur et répandent leurs quartiers vers la périphérie.
Ainsi une œuvre s’étend-elle par les marges, par ce qui n’a pas encore été dit et que la vie suggère. On évite de réitérer les images et les idées déjà frappées...
Alexis Gloaguen est un peintre et un poète, qui sait voir, qui déchiffre, qui lit, qui exprime, qui transcrit, avec force et talent, la poésie intrinsèque des éléments, sur les pages et sur les lignes de laquelle il a le pouvoir magique de distinguer et de suivre les signes et de saisir les expressions comme d’’un texte écrit sur un livre qui s’ouvre et s’offre à qui accepte d’en être le lecteur ou la lectrice.
Alexis Gloaguen n’est pas seulement poète. Son discours se fait volontiers métapoétique lorsqu’il réfléchit sur les limites de l’expressivité et sur la nature de la création et du langage poétique face à l’infinie et éternelle inventivité de la poésie de la nature.
Mais que peuvent les mots devant le modèle d’une vague ? Surtout lorsqu’elle se meut sur la profondeur et propose à l’air libre des millions de facettes sans écume ?
Cette fluidité est métaphore de tout ce qui clignote de visible ou de ressenti. Elle est écrin du mystère, évoquant les lieux impalpables d’où éclot le choc de la réalité, là où l’on n’attendait rien.
Alexis Gloaguen est un conteur, qui devient volontiers historien lorsqu’il se prend à raconter telle anecdote, tel fait du passé se rattachant à tel lieu qu’il visite, à tel vestige qui accroche son regard, à tel ou telle représentant(e) qu’il rencontre d’une ethnie locale, et qui se fait anthropologue/sociologue averti lorsqu’il nous livre ses réflexions sur l’acculturation, sur les mouvements migratoires, sur les processus d’assimilation, voire de brutale ou de lente extermination des peuples autochtones.
Si Alexis Gloaguen est homme à se fondre, corps et âme, dans les milieux naturels les plus divers, jusqu’à s’y sentir comme en étant une part élémentaire, il n’est pas pour autant de tempérament à se déconnecter du monde des hommes, de son actualité, de son évolution, de ses déviances. Alexis Gloaguen, philosophe s’il en est, est en effet à la fois un penseur qui s’interroge sans répit sur le sens du monde, de l’être et des choses et un analyste critique acéré de la façon dont l’humanité traite la planète, l’agresse, la corrompt, la détruit. L’admiration et l’amour qu’il éprouve pour les merveilles de la Terre et pour l’ordre universel, micro et macroscopique, font forcément de lui un écologiste foncier.
Dans la brume nous voilà, dormants du miracle, à respirer l’un près de l’autre et rêver de la complémentarité des mondes.
La qualité littéraire de ce beau livre à la couverture délicieusement cartonnée, si douce au toucher, est rehaussée, comme une pièce d’orfèvrerie en or massif peut l’être par un lumineux piquetage de pierres précieuses, par un balisage impressionnant d’illustrations réalisées d’après nature spécialement pour ces textes qu’elles accompagnent de bout en bout, par le talentueux peintre, dessinateur, artiste animalier qu’est Jean-Pierre Delapré.
Un livre qu’on caresse de la main, qu’on garde à portée de l’œil, dans lequel on embarque et réembarque, qu’on lit une première fois d’une traite, emporté, transporté, puis dans lequel on replonge, au petit bonheur, en feuilletant et en effeuillant comme le fait l’auteur le livre de l’univers en partie ici condensé.
Patryck Froissart
Alexis Gloaguen, né en 1950 à Plovan (Finistère), passe une grande partie de son enfance en Nouvelle-Calédonie (dans les îles Loyauté) où lui vient le goût de la nature primitive. En 1992, il part avec sa famille à Saint-Pierre-et-Miquelon pour lancer le Francoforum, nouvel institut de langue française tourné vers le Canada et les États-Unis. C’est ce séjour qui lui inspire les textes constituant ce tome 3 des Écrits de nature.
Jean-Pierre Delapré, artiste et photographe animalier chevronné, ses photos, ses aquarelles, ses pastels et ses dessins sont réalisés en pleine nature.
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