Ecrire sa vie. Du pacte au patrimoine autobiographique, Philippe Lejeune
Ecrire sa vie. Du pacte au patrimoine autobiographique, éd. du Mauconduit, mai 2015, 128 pages, 13 €
Ecrivain(s): Philippe LejeuneQuand le théoricien se raconte
C’est incontestablement à Philippe Lejeune, « le pape de l’autobiographie », ainsi que certains le surnomment à raison, que l’on doit l’intérêt grandissant porté aux écritures de soi. Depuis 1975, date à laquelle il publia son célèbre essai intitulé Le Pacte autobiographique (Seuil, coll. Poétique), il n’a cessé de s’intéresser aux écritures autobiographiques et à offrir à ces textes que l’on méprisait jusqu’alors, l’éclairage et l’attention qu’ils méritent.
C’est son propre parcours que Philippe Lejeune décide de partager dans le premier des cinq textes qui composent le présent ouvrage. L’aventure intellectuelle qui est la sienne n’est pas simplement celle d’un théoricien qui a exploré les chefs-d’œuvre de l’autobiographie (Rousseau, Stendhal, Gide, Sartre, Leiris…) et en a inventé la « grammaire ». Philippe Lejeune, par l’intermédiaire du travail qu’il a mené sur l’autobiographie de son arrière-grand-père paternel, Les étapes de la vie, s’est peu à peu détaché du « canon littéraire » pour étendre ses recherches aux écritures ordinaires. La découverte du texte de Xavier-Edouard Lejeune, son aïeul, a aussi été l’occasion pour lui de s’aventurer sur les chemins de la critique génétique, c’est-à-dire l’étude des brouillons d’une œuvre, aventure que le troisième texte – « Du brouillon à l’œuvre » – relate et explique.
Il en est venu naturellement à se passionner pour le journal, considéré comme « une pratique de vie et une pratique d’écriture ». L’approche de ce genre, dont il dessine les contours et recherche les origines dans le quatrième article (« Aux origines du journal personnel »), était aussi pour le chercheur, lui-même diariste, l’occasion de maintenir un lien entre son travail et ses pratiques personnelles. Les enquêtes qu’il a menées sur le journal lui ont fait prendre conscience « d’un besoin auquel la société française ne donnait guère de réponse : le besoin de transmettre ses écrits autobiographiques ». De là est né son engagement associatif, la création de l’Association pour l’Autobiographie en 1992 à Ambrieu, devenue « ville de l’autobiographie ».
Cette passion pour les écritures de soi est celle d’un lecteur qui lit « en sympathie » les écrits reçus au siège de l’APA, comme l’auteur nous l’explique dans le deuxième article de l’ouvrage. Dans le groupe de lecteurs auquel il appartient et qui se réunit chaque mois, comme dans les autres groupes, les textes ne sont pas « triés » comme ils le seraient dans n’importe quelle maison d’édition, ils sont accueillis, acceptés, compris, quoi qu’ils contiennent. Pas de jugement moral ni esthétique. Il s’agit pour ces lecteurs de rédiger un « écho » et ainsi de rendre possible la transmission de l’écrit à un futur potentiel lecteur.
Le dernier article interroge l’évolution des écrits autobiographiques « A l’ère du numérique ». La question est d’autant plus intéressante que les distinctions qui existaient entre journal, lettre et autobiographie sont en train de vaciller. A titre d’exemple, « Le blog, nous dit Philippe Lejeune, neutralise l’opposition entre journal et correspondance, mais aussi entre public et privé ». De même, se pose le problème de l’identité, au cœur des écrits autobiographiques, quand on sait qu’aujourd’hui « tout va si vite que notre identité ne peut plus s’appuyer sur la permanence du monde qui nous entoure ». Si l’évolution est indéniable, l’auteur se veut rassurant quant à l’avenir de l’autobiographie. Elle a encore de beaux jours devant elle. Les éditions du Mauconduit, spécialisées dans la publication de récits littéraires et de documents dans le registre de la mémoire et de la transmission, en sont une des preuves les plus probantes !
Arnaud Genon
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