Échos d’étreintes sauvages, Nasser-Edine Boucheqif (par Didier Ayres)
Échos d’étreintes sauvages, Nasser-Edine Boucheqif, éditions Polyglotte, 2018, 20 €
Hic et nunc
Pour aborder ce gros recueil de poésie de l’écrivain et éditeur Nasser-Edine Boucheqif, il faut tout de suite évoquer la morphologie de l’ouvrage. Car, sans savoir avec précision si le livre a été écrit tous les jours d’une année bissextile, à chaque poème correspond une date du calendrier, un poème chaque jour sans exception, ce qui laisse entrevoir une remarquable ténacité – sachant qu’écrire un poème journellement durant une année civile est un tour de force. D’autre part, le cours de ces poèmes est agencé selon quatre chapitres – dépeints sous le nom de « géopoétique » – qui renvoient à chaque trimestre, et plus concrètement aux quatre saisons qui jouent sur les couleurs et les impressions du poète, ce qui me permet de considérer comme avérée mon idée d’un poème quotidien. Donc, cette poésie saisit la Loire et la nature environnante, marquées bel et bien par les éléments climatiques du pays angevin.
Par ailleurs, chaque poème est orné d’une première lettre en caractères gras, et coupé en deux, avec une partie en police romaine et une autre par des vers en italique. J’ai décelé aussi l’influence d’André du Bouchet dans la graphie où sont séparées les parties en italique et celles en police romaine. Il faut donc construire un système de lecture dont la partie centrale est souvent vide. Pour en finir avec la morphologie, il faut ajouter que chaque mois donne naissance à une citation qui permet d’orienter la compréhension et d’étoffer la sensation de lecture.
Une fois cette description faite, il reste à aborder le fond imaginaire de cette poésie, qui se porte volontiers à la contemplation, notamment de la Loire et de la nature, qui sont à la fois le sujet et l’objet par quoi le poète évolue en lui-même dans un ici et maintenant meuble et clair – comme l’est le fleuve. Cette morphologie du livre oriente évidemment le propos, mais on se meut malgré tout grâce à la plasticité du langage, dans la capacité d’accueil d’une langue traversée par un souffle intérieur, animée par une sorte de mélange de l’Orient et de l’Occident où par exemple, les fleuves marocains viennent affleurer au milieu des strophes qui décrivent la Loire ou la Maine.
Poésie plastique, meuble, qui s’attache à l’enveloppe terrestre de la nature, qui capture une réalité temporelle et spatiale, une poésie réduite à très peu de choses, sinon le texte lui-même. Oui, cela décrit bien les motifs de ces quatre chapitres/saisons de ces quatre « géopoétiques » organisés selon les quatre états de la matière chez Empédocle.
4 janvier
La Loire avance vers sa dissolution
dans la mobilité de l’instant
chemin de départ
chemin de l’arrivée
où je perçois le monde en bulles d’air
s’évanouir
glisser comme un serpent sur l’eau du fleuve.
En attendant
je suis là
selon le ciel
qui varie
suivant ses humeurs
ses caprices.
D’ailleurs, nous sommes devant une poésie âpre mais lumineuse, chantante mais profonde, lyrique mais emplie de significations, morales par exemple. Une poésie sans image, juste arrimée à un souffle, une respiration intérieure qui confine à la litanie – le souffle (ruh) est primordial dans la poésie arabe car elle évoque le souffle de vie qui anime Adam, le premier homme.
7 décembre
Je suis petit dans ses bras
l’eau épèle mon nom de vague en vague jusqu’à l’épuisement.
Si grand dans mon cœur
comme cette journée qui me ressemble
Je ne suis plus aliéné par les choses matérielles
l’intolérance et la haine
le cœur est mon miroir et mon ego primaire pacifié
renoue maintenant avec l’origine primordiale.
Cela s’appelle
prendre la vie par pincée
être dans l’irrésolu
et s’égarer volontairement dans l’irrésolu.
Je cite ici un poème daté du 7 décembre, qui vient donc à la fin du recueil. Et je vois là tout à fait mon attitude de lecteur se mettre en éveil, se tenir dans la retenue sobre et cependant parlante de ces courts textes finalement qui mettent à jour une idée ou un élément de la nature, et qui espèrent dans le débordement. Et pour finir, je citerai un court extrait de la préface de Philippe Tancelin qui sonne très juste – lui qui connaît Nasser-Edine Boucheqif depuis plus longtemps que moi :
Peu à peu, au fil des saisons et de leur résonance entre elles puis entre nous et elles, le mouvement s’inverse et nous voici confrontés à une sorte de fusion sans confusion au sein de laquelle se dessinent presque amoureusement les singularités de l’observation et celles de la pensée qui les ordonne autant que celle-ci est peu à peu ordonnée ou guidées par elles, jusqu’aux profondeurs du corps sensible de toutes choses en l’auteur comme hors de lui…
Didier Ayres
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