Échange longue distance, Thomas Kling
Échange longue distance, éd. Unes, octobre 2016, trad. allemand Aurélien Galateau, 104 pages, 20 €
Ecrivain(s): Thomas Kling
Thomas Kling est autant un poète « sonore » qu’un philosophe rebelle à tout effet. Il est un des rares créateurs capables d’émettre une poésie du langage et de l’Histoire dignes de ce nom. Il pourrait donc se situer autant dans la lignée de Jean-Pierre Faye (et de ce que fut la revue « Change ») et de John Cage.
L’auteur prouve comment s’inscrit à travers l’Histoire et ses documents des lignes de tensions (souvent oubliées sous des prétextes plus ou moins fallacieux) et quelque chose d’essentiel du côté de l’altérité. Rien n’est caché dans un univers esthétique puissant. Il y eut les nazis, les staliniens, les glorieux hommes du commun, les camps de la mort mais aussi « Le Bleu du Ciel » dans l’esprit de Bataille.
Le retour se fait par la guerre, le pouvoir de tuer, et signe l’avènement de l’état « gnômateux » qui annonce un devenir en forme de néant. Mais pas seulement. Certes l’auteur rappelle que le monde est une obscurité qui se meut en tous sens. Et la langue lui emboîte le pas. C’est elle qu’il conteste du moins en ses états passifs. Il sait que c’est par la langue poétique – et sans masquer ses références – que le politique et le monde se pensent.
A l’inverse, l’écriture – la « vraie » – fait nasse. L’auteur, dans un de ses derniers textes, soulève sa robe pour montrer le cul de l’Histoire. Il existe donc du Nietzsche chez celui pour lequel il n’y eut pas plus de lumière céleste que d’obscurité d’abîme dans ces corps récits et chants qui réfléchissent (à tous les sens du terme) le monde.
Ces mouvements de réflexion parcourent l’espace de l’istôr d’Hérodote appelé à dire bien des choses, à la naissance de la philosophie. Mais celle-ci a souvent baissé la langue et servi des plats graisseux plutôt que de s’aventurer en direction du soleil nu. Kling comme Nietzsche est revenu à une poésie première. Mais chez lui apparaît non la révolte du révolté mais sa révolution contre lui-même. Le corps « klinguien » regarde le monde et le parle.
Un échange à longue distance appelle donc le travail de l’écriture, commencé dans la nuit des cavernes, ouvert à une poétique de l’instant d’apparition. Elle se dessine l’inenvisageable. Cette « poétique » signifie le politique non de l’embellissement mais du monstre du déferlement dans le temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
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