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Du couvent au bordel, Mots du joli monde, Claudine Brécourt-Villars

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 31.03.17 dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques, La Table Ronde

Du couvent au bordel, Mots du joli monde, janvier 2017, 288 pages, 22 €

Ecrivain(s): Claudine Brécourt-Villars Edition: La Table Ronde

Du couvent au bordel, Mots du joli monde, Claudine Brécourt-Villars

 

Feuilleter le glossaire de Claudine Brécourt-Villars, c’est effeuiller les pages de plus de six siècles de littérature à la recherche des termes qui ont décrit le monde des prostituées et de la pègre, c’est découvrir ou redécouvrir des pans entiers de romans, chansons, poèmes, lettres, qui peu à peu ont fait entrer ce vocabulaire pittoresque dans le langage courant à moins qu’il ne soit resté caché, telle une friandise, dans des textes d’auteurs parfois oubliés. Des mots également ignorés de bon nombre de dictionnaires dits spécialisés qui retrouvent ici une seconde jeunesse.

Ce livre, haut en couleur, est un petit bijou tant par sa présentation originale et précieuse que par le soin pris par Claudine Brécourt-Villars à illustrer chaque entrée – on en dénombre 204 – de longues citations d’environ 245 auteurs.

L’ouvrage invite le lecteur à un voyage en terres de filles de joie tout autant qu’à une immersion en une littérature qui a priori n’a rien de polissonne. On y côtoiera en effet, au gré des paragraphes entiers retranscrits dans les pages, aussi bien Montaigne, Gérard de Nerval, Louis-Ferdinand Céline, Jean-Paul Sartre, Marcel Proust, Verlaine, Zola que Régine Deforges, George Sand, Colette, Françoise Mallet-Joris ou Virginie Despentes, pour ne citer que ceux-ci.

Les expressions, locutions, mots du joli monde, une fois resitués dans leur contexte, sont aussi les traces indélébiles de la manière dont au travers des siècles furent traitées ou plutôt maltraitées, ces femmes qui marchandaient leurs charmes. Du mépris à la condescendance, du rejet à l’empathie, de la fascination à l’ironie, se dessine la carte tourmentée des passions contradictoires que la prostitution a suscitées et qu’elle continue de provoquer aujourd’hui auprès des gens de plume qui ne font finalement que refléter l’attitude plus ou moins générale de leurs contemporains, voire des modes passagères.

Des traitements littéraires qui subissent des hauts et des bas pour la prostituée miséreuse tout juste sortie de sa campagne ou pour la demi-mondaine vivant parfois de manière temporaire dans le luxe en accumulant les amants issus de la noblesse ou de la grande bourgeoisie.

Des durées de vie également très différentes pour certains mots. Ainsi celui de « putain » qui apparaît dès le XIIe siècle, alors que le terme « cocodette » désignant l’équivalent d’une demi-mondaine ne vivra que du Second Empire au début de la IIIe République, et l’expression « courtier d’amour » désignant un entremetteur, à peine le temps du XVIIIe.

Quand les chouettes, les grues ou les essuyeuses de plâtre cèdent la place aux belles-de-jour, aux caravelles ou aux call-girls, il n’y a pas que la terminologie qui évolue. Et quand les femmes de lettres s’emparent du sujet, leur regard se colore d’un féminisme qui prend ouvertement parti pour celles qu’elles considèrent comme les victimes d’une société où l’homme règne en seigneur et maître. Des femmes écrivains somme toute assez peu nombreuses à s’aventurer dans un domaine qui fait scandale et récolte mauvaise presse.

Régine Deforges, qui fut l’amie de Claudine Brécourt-Villars, en paya cher le prix. Elle dut subir les foudres de la censure après avoir publié en 1968 dans sa toute nouvelle maison d’édition, Irène (Le Con d’Irène, attribué à Louis Aragon). Elle fut condamnée dans la foulée pour outrage aux bonnes mœurs et privée de ses droits civiques.

Si le roman policier a largement vulgarisé au XXe siècle certains termes, l’ouvrage de Claudine Brécourt-Villars nous rappelle que le vocabulaire des bordels a profondément imprégné la production des plus grands écrivains de notre Panthéon littéraire.

On saluera par ailleurs le colossal travail de documentation qui rétablit, sources à l’appui, non seulement l’origine des termes, mais aussi les variantes orthographiques, les synonymes, et lorsque le doute existe sur une origine, les explications que Claudine Brécourt-Villars fournit sont toujours claires et précises.

Cadeau original à s’offrir ou se faire offrir, Du couvent au bordel est un délicieux glossaire qui, à défaut de donner l’envie subite « d’aller aux asperges », satisfait au goût des jolis mots et provoque le besoin irrépressible de partir à la découverte d’ouvrages peu connus, d’en relire de plus familiers, l’œil en goguette.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

Claudine Brécourt-Villars

 

Professeure de lettres, historienne de la littérature et linguiste affranchie des conventions, Claudine Brécourt-Villars « scandalise » depuis près de quarante ans : ses projets d’étude sont autant de projectiles à l’encontre du sens commun, ses publications autant de pierres d’un ensemble hétérodoxe. On lui doit entre autres publications : Ma double vie, Sarah Bernhard (Poche, 2012), Mots de table, mots de bouche Dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie (Poche, 2009), Les poètes et les putains, en collaboration avec Régine Deforges (Laffont, 2004).

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.