Du bonheur aujourd’hui, Michel Serres
Du bonheur aujourd’hui, octobre 2015, 136 pages, 9 €
Ecrivain(s): Michel Serres Edition: Le Pommier éditions
Qu’est-ce que le bonheur ? Dans ce recueil de chroniques radiophoniques enregistrées entre juin 2006 et décembre 2014 le dimanche sur France Info, et retranscrites sous forme de dialogue entre Michel Polacco et l’auteur, Michel Serres livre ses clés de compréhension du monde qui nous entoure, sur les plans inter et intrapersonnels. Le professeur de philosophie des sciences à Stanford, adepte des technologies numériques, auteur de plus de cinquante ouvrages, se fait brillant vulgarisateur et humaniste hors pair. Des concepts comme l’art, la paix, la santé sont analysés dans une perspective résolument optimiste qui fait de ce court ouvrage un petit traité sur le bonheur.
Ainsi, « Le bonheur, c’est l’oubli… » des mauvaises expériences, et la courbe de satisfaction de la vie « croît de plus en plus à mesure que l’on vieillit, […] arrive à une sorte de palier entre quarante et cinquante ans, [puis] croît de nouveau jusqu’à soixante-cinq ans, sommet de la satisfaction de la vie » quand les contraintes et enjeux liés au travail et aux ambitions professionnelles se sont assagis. C’est là l’opinion d’un savant, professeur d’université, qui conçoit la vie comme linéaire et relativement régulière.
Corollaire de cette vision positive de l’existence, le chapitre sur la paix nous apprend que nous sommes en paix mondiale depuis 70 ans et que si « les médias ne parlent que de violence, de guerres, de maladies et de catastrophes », les morts par faits de guerre ne sont aujourd’hui que de 0,3% et qu’il s’agit donc d’un grossissement démesuré de l’information.
Dans le chapitre intitulé La bonté, on lit que les hommes sont majoritairement, statistiquement bons, et qu’une minorité, adeptes du pouvoir, de la domination, de la hiérarchie, les pervertit. Le texte de Michel Serres ne manifeste pas une grande admiration à l’égard des hommes politiques et du pouvoir. En tant que philosophe, il épouse davantage la cause des perdants. En effet, la philosophie « a le sens et l’analyse de la défaite », admet la défaite et même la pense, enseigne un savoir-perdre, ramène celui qui sait perdre « à son individu, à sa finitude, à sa culture, à sa liberté, à son indépendance, à sa lucidité, à son autonomie, à son amour… ».
Octogénaire, Michel Serres s’interroge aussi sur la santé, l’âge, le vieillissement. Il définit la santénormale comme « le silence des organes » – ainsi que le bonheur est l’oubli –, tandis que le bien-être se rapproche du chant, de l’exultation des organes ; il écrit que pour maintenir corrélés les trois âges de la vie, l’âge de l’Etat-civil, l’âge physiologique et l’âge de la profession, il convient d’entraîner quotidiennement son esprit et son intelligence, et que la pire maladie du vieillissement est celle du ressentiment, à bannir à tout prix ; il réfléchit sur l’espoir, projection objective d’un bienfait, alors que l’espérance est « une vertu vitale, physique, physiologique, de l’élan vital profond », qui nourrit et soutient l’espoir, comme Les Grandes Espérances de Dickens parlent de l’héritage et non du pouvoir.
Enfin, plus important même que la communication, le langage, proche de la poïesis bien davantage que de la praxis, est ce qui nous fabrique en tant qu’êtres humains, « nous donne la conscience que nous avons de nous-mêmes », lorsque nous nous racontons qui nous sommes et comment nous agissons. Ce récit de soi est la marque unique et indéfectible de notre humanité.
Sylvie Ferrando
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