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Douze palais de mémoire, Anna Moï (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret 12.03.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Douze palais de mémoire, février 2021, 204 pages, 19 €

Ecrivain(s): Anna Moï Edition: Gallimard

Douze palais de mémoire, Anna Moï (par Stéphane Bret)

 

La mémoire, nous dit-on fréquemment, est essentielle pour la transmission, la cohésion d’une communauté, le maintien de valeurs morales indispensables au bon fonctionnement d’une société équilibrée. Dans les pays de tradition bouddhiste, où le culte des ancêtres joue un rôle dans la mémoire de chacun, les mécanismes de la mémoire peuvent faire appel à d’étranges associations.

Anna Moï a beaucoup traité dans ses précédents romans le thème de l’exil des Vietnamiens, comme par exemple Nostalgie de la rizière. Dans Douze palais de mémoire, Anna Moï décrit la fuite, à bord d’une embarcation de fortune, d’un groupe de Boat People, ces réfugiés qui ont décidé de quitter le Vietnam après la victoire des communistes et la chute de Saïgon en avril 1975. L’auteure s’attache plus particulièrement à Khanh, et à sa fille Tiên, âgée de six ans. Khanh, dont le père a exercé les talents d’astrologue, a reçu de ce dernier les grandes lignes directrices de son thème astral : la configuration de ses douze palais, le palais désignant un domaine précis, « Finances, Immobilier, Carrière, Amis, Parents, Voyages, Destinée, Santé, Fratrie, Mariage, Enfants, Mathématiques ».

A ces palais, Anna Moï associe la méthode des loci, des lieux, mise au point par un philosophe de l’Antiquité, Céos ; celle-ci permettant de reconstituer un souvenir à partir d’un fait concret, par exemple la position à table de participants à un repas permettant de retrouver leur identité.

Ce qui intéresse le narrateur dans l’étude des mécanismes de la mémoire, c’est le choix des territoires abstraits, la méthode des analogies ; pourtant, il reconnaît être « assidu du palais de l’Amour » mais que « certains événements ne s’effacent pas malgré mes efforts pour les négliger, il est difficile de lutter contre le choc d’une émotion forte ».

Ce qui suscite l’intérêt du lecteur c’est la distance prise aussi bien par Khanh, le père, que Tiên, sa fille. Celle-ci, dont on se demande si elle a conscience de la gravité de l’événement, reste espiègle, moqueuse vis-à-vis des membres de l’équipage du rafiot, et garde de l’ironie et de la distance face à la situation. Khanh, à l’inverse, plonge dans ses souvenirs, ravive la mémoire de son épouse disparue, Moa, décrit les conditions de la conquête du Vietnam par le régime communiste, et révèle peu à peu que les causes profondes de son départ du Vietnam ne sont peut-être pas exclusivement politiques… Khanh conclut ainsi, éloquemment, à propos de l’émigration :

« De fait, nous avons tous été lésés de quelque chose, à commencer par la vie telle que nous la connaissions. Il ne nous a pas manqué un œil, mais une vision. Nous n’avons pas été amputés d’un bras, mais du geste de le tendre vers autrui ».

Parfait constat des séquelles d’une odyssée involontaire, douloureuse, mais qui a laissé entrevoir pour ces boat people un avenir discernable.

 

Stéphane Bret

 

Originaire de l’ancien Sud-Vietnam, la Cochinchine, Anna Moï vit et travaille à Paris. Elle a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles et romans parmi lesquels : Riz noir Rapaces Le venin du papillon (aux éditions Gallimard).

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A propos de l'écrivain

Anna Moï

 

Anna Moï, de son vrai nom, Tran Thiên-Nga est née le 1er août 1955 à Saigon, au Vietnam. Sa mère est enseignante et son père est officier et journaliste. Après avoir obtenu le baccalauréat au lycée français Marie Curie de Saigon, elle part pour Paris dans les années 70 où elle étudie l’histoire à l’université de Nanterre. En 1992 elle s’installe dans sa ville natale devenue Hô-Chi-Minh-Ville. Elle commence alors à écrire des chroniques en français dans une revue francophone vietnamienne. En 2001 paraît aux éditions de l’Aube L’Echo des rizières, recueil de truculentes nouvelles. Son premier roman, publié en 2004 chez Gallimard, Riz noir, rompt avec le style léger et humoristique de ses nouvelles.

Bibliographie sélective : Nostalgie de la rizière (Ed. de l’Aube, 2012), L’Année du cochon de feu (Ed. du Rocher, 2008), Violon (Flammarion, 2006), Espéranto, désespéranto La francophonie sans les Français (Gallimard, 2006), Rapaces (Gallimard, 2005), Riz noir (Gallimard, 2004), Parfum de pagode (Ed. de l’Aube, 2003), L’Écho des rizières (Ed. de l’Aube, 2001).

 

A propos du rédacteur

Stéphane Bret

 

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63 ans, réside actuellement à Boulogne-Billancourt, et s’intéresse de longue date à beaucoup  de domaines de la vie culturelle, dont bien sûr la littérature.

Auteurs favoris : Virginia Woolf, Thomas Mann, Joseph Conrad, William Faulkner, Aragon, Drieu La Rochelle, et bien d’autres impossibles à mentionner intégralement.

Centres d’intérêt : Littérature, cinéma, théâtre, expositions (peintures, photographies), voyages.

Orientations : la réhabilitation du rôle du savoir comme vecteur d’émancipation, de la culture vraiment générale pour l’exercice du libre arbitre, la perpétuation de l’esprit critique comme source de liberté authentique."

 

REFERENCES EDITORIALES :

Quatre livres publiés :

POUR DES MILLIONS DE VOIX -EDITIONS MON PETIT EDITEUR 
LE VIADUC DE LA VIOLENCE -EDITIONS EDILIVRE A PARIS
AMERE MATURITE -EDITIONS DEDICACES 
L'EMBELLIE - EDITIONS EDILIVRE A PARIS