Dis-moi quelque chose, Yves Namur (par Didier Ayres)
Dis-moi quelque chose, Yves Namur, Arfuyen, mars 2021, 156 pages, 14 €
Il s’agit aujourd’hui moins d’accroître nos connaissances
que de nous dépouiller, afin de retrouver
ce que devraient garder toute leur vie les hommes :
une fraîcheur de vision pareille à celle des enfants.
Michel Leiris
Ostinato
J’ai hésité à commencer une recension du recueil de Yves Namur, que publient les éditions Arfuyen, par crainte de compromettre l’intégrité de ce livre. Cette première hésitation se justifie en partie par la variété des points de vue que j’ai portés sur cette lecture. Ainsi, cette phrase répétée qui revient dans les 115 poèmes du volume, ne limite pas le champ de l’explication ni celui de la sensation. J’ai pris cette anaphore comme un rythme musical, un ostinato comme on en rencontre dans le Boléro.
D’ailleurs, j’ai pensé plusieurs fois à Ravel et à son utilisation du leitmotiv. La deuxième hésitation vient de l’impossibilité de retenir un nombre de poèmes saillants qui puissent organiser ma compréhension et m’en faire des points d’appui. J’ai souligné trop de choses sur le livre. Mais, j’ai retenu quand même dans l’ensemble de l’ouvrage, au moins ce poème :
Dis-moi quelque chose
Qui éveillera cette rose lourde
Cachée dans nos regrets
Gorgée d’eau et de bonheurs enfuis
Dis quelque chose
Qu’elle éclose sur le champ
Plus généralement, cette écriture m’a semblé plus dessinée que sculpturale, écriture froide dans la mesure où elle requiert un investissement très soutenu, une poésie du trait plus que de l’à-plat, poésie aux couleurs très sobres, très légèrement épique (l’on suit le poète durant quatre saisons), plus aquarellée que conçue pour la peinture à l’huile. Néanmoins, poèmes figurés, chantants. Et puisque je parle d’art visuel, peut-être pourrait-on rapprocher cette expérience prosodique d’Yves Namur de Jenny Holzer, dans son travail d’empreintes lumineuses en cristaux liquides. Car là non plus, les retours des mots ne paraissent jamais mécaniques, mais plus contemplatifs, plus méditatifs que psalmodiés. Ainsi, je crois que ces textes nous conduisent vers la clarté, et pour finir, vers un lieu sacré de la langue, là où elle fusionne avec l’art et la divinité.
Et même si c’est surtout le cahier dessiné qui m’a paru une sorte d’idée centrale (et il faut ici redire que j’ai hésité à synthétiser, voyant qu’un seul contenant ne pouvait pas tout contenir), j’ai songé à la musique minimaliste américaine (John Adams par exemple). À la danse aussi comprise comme une chorégraphie de signes tremblants. Ou bien cette litanie qui ouvre chaque poème serait à considérer comme Constantin Brâncuși par exemple, qui conçoit le socle de sa colonne sans fin, c’est-à-dire un socle faisant partie de l’œuvre. De ce fait, je crois que l’on peut déduire que rien n’est livré au hasard, pas même cette invitation fraîche et toujours neuve, de l’adresse à la divinité. Ceci dit, et pour approfondir un instant ma réflexion, je voudrais évoquer ici la théologie négative. Car finalement, l’œuvre d’art n’ajoute pas à l’énigme de l’homme devant dieu, mais ne se rend au sacré que par le soin infini d’ôter, de retirer, pour aboutir à sa forme. Pour distinguer quelque chose de l’ordre de l’esprit, il faut enlever le superflu, l’inadéquat, le trop d’orgueil, le trop d’intelligence, pour revenir au plus simple, au plus exact. La poésie est de cette espèce de théologie. Ainsi, le « quelque chose » qui scande le livre est à la fois le but espéré et son application. Une sorte de je-ne-sais-quoi ou de presque rien, pour paraphraser Jankélévitch. Dessin en forme de dessein, destin poétique, divagation étroite autour de peu, désignation de clarté dans le monde intérieur : un beau livre, voilà tout.
Dis-moi quelque chose
Qui ne soit pas simplement
Une bouche de fumée
De terre oubliée et amère
Qui soit un peu de lumière
Malgré tout
Didier Ayres
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