Dictionnaire des mots parfaits, Belinda Cannone, Christian Doumet (par Sylvie Ferrando)
Dictionnaire des mots parfaits, Belinda Cannone, Christian Doumet, mai 2019, 216 pages, 16,90 €
Edition: Thierry Marchaisse
Après le Dictionnaire des mots manquants (2016) et le Dictionnaire des mots en trop (2017), voici le Dictionnaire des mots parfaits, troisième (et dernier ?) volume de la série. De même que le Robert ou le Larousse pourraient être qualifiés de « dictionnaires des mots parfaits objectifs », reflets de l’usage de la langue, de même cet ouvrage est un « dictionnaire des mots parfaits subjectifs », mots chéris ou préférés, choix personnel de chacun des 51 écrivains qui en forment le collectif d’auteurs.
Comment recenser un ensemble de courts articles de dictionnaire, dont les entrées sont si singulièrement propres à chaque écrivain ? Certains de ces mots offrent une résonance particulière à l’oreille du lecteur, de même que certains articles font précisément sens à la lecture : mots cratyliens, respectant l’harmonie imitative, mots sémantiques, choisis pour leur polysémie lexicale, mots syntaxiques, dépendant du contexte d’emploi, ou encore mots morphologiques, néologismes ou mots-valises, à objectif ouvertement ludique.
Ainsi, Astrophysique, et son cortège de coquelicots (Pierrette Fleutiaux), Bulle (Suzanne Doppelt), Dingularité (Max Dorra), Epatant (Lucile Bordes), Foulque (Belinda Cannone), Fulguration (Simonetta Greggio), Obsession (du portrait, Hélène Frappat), Patronyme (Marcel Benabou), Point (Jérôme Meizoz), Rhododendron (Sylvie Lemonnier), Saperlipopette (Jérôme Meizoz), Silitoe (Philippe Garnier) ont retenu mon attention, par une certaine alchimie sonore et intellectuelle. Dans cette sélection, trois articles seront – modestement – détaillés.
L’article Foulque, rédigé par Belinda Cannone, est emblématique parce qu’il offre une large analyse : de la phonologie du terme à son référent dans le monde (un oiseau aquatique, la foulque macroule), Belinda Cannone nous livre son expérience sonore et visuelle du mot et celle de ses rencontres avec l’oiseau in real life. Le fait que ce soit un nom d’espèce, un mot savant, délicat, n’est pas pour lui déplaire. De même que l’on s’approprie une œuvre de fiction en la lisant, en l’interprétant, voire en la réécrivant, il est possible de s’approprier un mot et de jouir de le prononcer pour nommer le monde. Cette fonction référentielle, presque déictique du terme, Belinda Cannone souffre de constater qu’elle est – selon elle – si peu partagée.
Pierrette Fleutiaux nous a quittés le 27 février 2019, peu après avoir corrigé son texte, qui prend ainsi une force émouvante. Elle « a rejoint les astres qu’elle aimait tant », selon la dédicace, alors qu’elle était engagée dans un travail, soutenu par le CNES, sur la passion d’un astrophysicien. Le terme Astrophysique « résonne clair et loin », donc « permet de garder les yeux ouverts », « éclaire notre entendement ». Pierrette Fleutiaux nous fait part de son rêve d’enfance de devenir astrophysicienne, elle qui a finalement choisi d’enseigner l’anglais. Mais, corollaire léger, gracieux et éphémère d’Astrophysique, le mot Coquelicot lui plaît aussi à la folie, parce qu’il « danse sur sa tige ». Cette association de sons, de lettres et de visions du monde lui est salutaire.
Enfin, l’article Patronyme de Marcel Benabou, membre de l’Oulipo, présente un savant florilège des termes préférés de l’auteur et de son rapport ludique aux mots et à son propre patronyme.
Sylvie Ferrando
Née en Tunisie en août 1958, Belinda Cannone est une romancière, essayiste, et maître de conférences, française. Elle enseigne la littérature comparée à l’université Caen-Normandie depuis 1998.
Né à Mâcon en 1953, Christian Doumet est un essayiste, poète, romancier et universitaire français. Il est professeur de littérature française à l’Université Paris-Sorbonne depuis 2015.
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