Dictionnaire amoureux de la Belle Epoque et des Années folles, Benoît Duteurtre (par Stéphane Bret)
Dictionnaire amoureux de la Belle Epoque et des Années folles, Benoît Duteurtre, Éd. Plon, août 2022, 638 pages, 25 €
Edition: PlonLe genre de la Collection du Dictionnaire amoureux implique toujours des choix, des omissions, des mises en avant délibérées, des rejets, parfois… Benoît Duteurtre, dans ce Dictionnaire amoureux de la Belle Époque et des Années folles, a fait le choix de retenir beaucoup de références, certaines célèbres, d’autres ayant bénéficié d’une notoriété moindre ou ayant disparu de la mémoire historique commune. Dans l’introduction de ce volumineux Dictionnaire, l’auteur prend le parti de considérer ces deux périodes comme une continuité. Elles ont toutes deux, nous dit l’auteur, « les mêmes racines intellectuelles ».
La Belle Époque fut fertile en expérimentations, innovations et découvertes multiples. Ces dernières furent prolongées durant les Années folles dans de nombreux domaines : la peinture, dont les formes et les couleurs nées de l’impressionnisme, font place au fauvisme, au cubisme, à l’École de Paris. La révolution musicale préparée par Debussy, Ravel ou Stravinsky dans les années 10, s’impose dans les années 1920-1930 par la production de ballets et de symphonies signées Roussel, Darius Milhaud.
Dans le domaine littéraire, la continuité est visible aussi pour Benoît Duteurtre. Les audaces poétiques d’un Max Jacob ou d’un Guillaume Apollinaire préparent celles de Desnos, d’Aragon, ou de Henri Michaux. Il n’y a donc pas rupture, contradiction, exclusion entre ces deux époques, elles sont les « mi-temps » d’une période marquée par l’intermède apocalyptique et cruel de la Première Guerre mondiale. Benoît Duteurtre voit une preuve probante de cet état de choses : « De cette continuité témoigne d’ailleurs, plus que tout, la présence des mêmes artistes de part et d’autre d’une guerre censée tout séparer est visible, Ravel, Stravinsky, Richard Strauss, Gide, Proust, Colette, Guitry, et tant d’autres n’auront pas éprouvé le sentiment de faire, après 1918, le contraire de ce qu’ils avaient accompli avant 1914 ».
En établissant une courte sélection de ces nombreuses rubriques, on peut citer Apollinaire, dont le recueil Alcools publié en 1913 le fait accéder à la célébrité. Il entraînera dans son sillage les dadaïstes du cabaret Voltaire de Zurich, Breton, Aragon. Comment ne pas mentionner Joséphine Baker, panthéonisée récemment en 2021. C’est bien sûr la danseuse vedette du Bal Nègre qui est célébrée, la combattante contre la ségrégation raciale dans son pays d’origine, les Etats-Unis, sa participation à la Seconde Guerre mondiale.
La bourgeoise, en tant que classe sociale, reçoit de la part de Benoît Duteurtre un vibrant hommage, et nous serions très tentés de lui donner raison dans son verdict final : « Je ne regarde plus ce temps pour ce qu’il avait de haïssable mais pour ce qu’il nous a légué comme art de vivre disparu : cette élégance de Paris et des boulevards, ces villégiatures dorées, cet idéal d’artifice, de mesure et de légèreté. De ce monde j’ai moins regardé la violence pour en goûter la poésie : les richesses de la civilisation bourgeoise, les beautés de l’esprit bourgeois antibourgeois, les raffinements décadents de la bourgeoise déclinante ».
D’autres entrées du Dictionnaire sont dignes d’intérêt : la place centrale de Paris dans les arts au début du XXe siècle, la révolution de l’Art nouveau, des Arts déco, le Paris de La Belle Époque dont les touristes raffolent toujours. Un merveilleux voyage dans cette période, dont nous sommes largement les héritiers. Ouvrage à recommander pour une introduction, une initiation aux arcanes de ces moments artistiques et intellectuels.
Stéphane Bret
Benoît Duteurtre est romancier et producteur à France-Musique. Traduit dans de nombreux pays, il est l’auteur de Le Voyage en France (prix Médicis), La Petite Fille et la cigarette ou Les Pieds dans l’eau.
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