Dialogues manqués, Antonio Tabucchi
Dialogues manqués, juin 2017, trad. italien Bernard Comment, 112 pages, 17 €
Ecrivain(s): Antonio Tabucchi Edition: Gallimard
Trois pièces – genre auquel le public de Tabucchi n’est pas habitué, puisqu’il est essentiellement auteur de romans, de récits et d’études littéraires – composent cet ouvrage posthume. L’auteur de Pereira prétend est mort dans la ville qu’il a tant aimée, en 2012.
L’un des meilleurs connaisseurs de Pessoa était sans doute bien placé pour imaginer la rencontre de son écrivain portugais fétiche avec une autre sommité du siècle, mais sicilienne, celle-là, Pirandello.
Monsieur Pirandello est demandé au téléphone imagine la rencontre des deux littérateurs, dans un hôpital psychiatrique en 1935, année même de la mort de Fernando Pessoa. Jouant des réalités et des furtives hypothèses d’une autre instance, Tabucchi tire parti des masques dont Pessoa a tissé ses rapports au lecteur : Monsieur Personne hissant ses « personae » au-dessus des fictions. Le grand théâtre des apparences est là même où se noue la littérature unique de deux monstres qui l’ont révolutionnée au même titre que Proust, Joyce et Svevo.
Le dialogue, tout à fait inventé, ne peut être qu’une occasion manquée. Peu de gens ont fréquenté Pessoa : même Armand Guibert, son meilleur traducteur en français, n’est arrivé à Lisbonne que sept ans après la mort du maître méconnu. Seul Pierre Hourcade, critique et lettré français, l’a rencontré quelque temps avant sa mort.
Le monde de l’hôpital se retrouve dans la deuxième pièce, Le temps presse, règlement de compte entre divers membres d’une même famille : il y a le père, destinataire des messages, il y a deux frères ; il y a la mère morte que les dialogues font revivre, et une « sœur » qui n’est pas vraiment utérine mais simple religieuse.
Marconi si je me souviens bien traite, au-delà de la commémoration artistique, du fascisme des années trente. George Orwell est au nombre des personnages de cet hommage aux auditeurs d’une invention récente, la radiodiffusion. On retrouve ainsi la dimension politique de celui qui dans Pereira prétendmettait en évidence la soudaine clairvoyance d’un planqué, fonctionnaire sous Salazar.
Sans doute ma préférence va-t-elle aux romans Pereira prétend, Tristano meurt, Requiem, ou encore au splendide Une malle pleine de gens. Sans doute l’ombre de Pessoa (nettement révélé par les deux titres précités) pèse-t-elle ici, mais sur un mode mineur.
Restent l’intelligence et l’ironie du propos.
Philippe Leuckx
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