Dialogue d’été, Anne Serre
Dialogue d’été, septembre 2014, 151 pages, 15 €
Ecrivain(s): Anne Serre Edition: Mercure de France
Jeux de miroirs, dialogue avec soi-même, passage du seuil entre présent et passé, réalité et imaginaire…, ce n’est pas tant l’imaginaire de l’écrivain que sa remise en place sur les lieux du passé, ses petites scènes de crime intimes, confidentielles et révélées, à l’image de ces bains révélateurs, où décante le souvenir :
« – N’as-tu jamais honte de raconter tant de secrets ?
– Si, d’une certaine manière. Mais dès que c’est passé de l’autre côté, dès que c’est dans le livre, ceci ne me concerne plus, n’a plus à voir que de très loin avec ma vie. Je raconte quelque chose qui passe en moi et n’est jamais fixé » (p.23).
Dialogue d’été, c’est avant tout la quête de la mère, mais aussi du personnage qu’elle aurait dû incarner pour l’auteur, sa fille, et dont elle a démissionné par sa mort prématurée, lorsque l’enfant avait dix ans.
D’elle, l’auteur garde peu de souvenirs, pas un parfum, un profil, juste une image, peut-être un amalgame, peut-être, par là-même, un faux souvenir. La mémoire se dérobe, comme la porte quiintroduit l’auteur dans le monde de la « fabrique » du roman :
« – Au jardin ta vie devient une fiction ?
– Oui, ta mère n’est plus ta mère, c’est l’image d’une mère qui aurait été peinte sur une carte à jouer, de même pour tous tes souvenirs (…) tu n’as plus aucune considération pour rien, pour personne »(p.34).
C’est aussi tout le travail de détissage et retissage, de rempaillage aussi du vide, des vides laissés dans une vie, la quête d’histoires simples, la juxtaposition, le kaléidoscope que crée le décalage entre ce qu’on croit ressentir, atteindre, toucher, et ce qui reste : la recherche. Le temps du souvenir, on ne le retrouve jamais. A trop chercher, on perd jusqu’à la trace. Reste l’autre face, la face cachée des ombres – ou des personnages : que font-ils donc sans intermédiaire, sans celui de l’auteur s’immisçant dans leur vie ?
« Parce que nous ne sommes pas dans le temps. Nous sommes dans l’éternité. Nous sommes des Ombres » (p.18).
Entre vigilance et veille, l’état de la romancière est subtil. Il s’agit de savoir se poser. De laisser le temps renouer les fils relâchés, de faire œuvre de Parque, de se confronter :
« – Décidément tu peux être dangereuse, malfaisante. Jusqu’à un certain point je t’écoute et peux suivre tes conseils, mais il y a un point où je crois savoir mieux que toi où est ma survie » (p.95).
Que font les personnages, la mère de l’auteur quand ils sont livrés à eux-mêmes ? Ils traversent, abordent un autre rivage – celui d’Avalon ? – L’auteur, qui poursuit sa mère sans tout à fait se l’avouer – c’est une remarque de son interlocutrice qui crée le déclic –, s’imagine la rencontrer dans nombre de personnages féminins : une femme rousse en robe verte, une femme en robe blanche, elle-même jeune…, la substitution est facile, mais la mort rattrape le personnage de la mère : peut-être sera-t-elle plus douce d’avoir été attendue, entendue à deux, même si ce n’est pas jusqu’à l’extrême, jusqu’au bout :
« – Ce que j’ai oublié de plus grave la concernant, c’est le son que faisait sa présence. C’est cela que je recherche. J’en ai besoin pour ma musique » (p.70).
La mort est une histoire à côté, médusante :
« – Pourquoi t’es-tu arrêtée si brusquement ? Comme si nos dernières phrases te pétrifiaient » (p.39).
Que (se) passe-t-il dans ce Dialogue d’été ? Rien, si ce n’est la vie, la création, les portes qui s’ouvrent et se ferment sans que le moment en soit toujours annoncé, sans qu’on y soit toujours prêt, préparé, les passages du jardin de la « fabrique », les seuils et les garde-fous qui trahissent… Le temps, qui lui aussi passe, se passe.
Anne Morin
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