Diaboliques, Sept femmes sous l’Occupation, Cédric Meletta (par Catherine Dutigny)
Diaboliques, Sept femmes sous l’Occupation, février 2019, 221 pages, 20 €
Ecrivain(s): Cédric Meletta Edition: Robert LaffontOn le sait, le chiffre sept est considéré dans beaucoup de religions comme un nombre sacré. Il marque les esprits en bien comme en mal, et ce n’est sans doute pas un hasard si Cédric Meletta a choisi de sortir d’un relatif oubli historique le destin de sept femmes afin d’illustrer la figure féminine du Diable sous l’Occupation.
Sept femmes aux origines sociales, aux nationalités, aux cultures et aux activités délictueuses différentes. Un choix judicieux qui est le premier attrait de ce livre. Pas ou très peu de redites, de similitudes dans ces sept chemins pavés d’horreurs, de chantages, de vols et de crimes. Il y a tant de manières d’être une hyène, une diabolique, quand on croit dur comme fer pouvoir faire son beurre et son miel du malheur des autres.
Peu de points communs également sur des fins de vie écourtées de manière expéditive ou au contraire protégées, voire mystérieuses. Être une femme à la fin de la Seconde Guerre mondiale, même suspectée des pires travers ou au minimum d’avoir œuvré de concert avec des ultra-collaborateurs et/ou des membres de la Gestapo, peut valoir (parfois) l’indulgence des tribunaux présidés par des hommes. Souvent considérées comme des exécutantes de second ordre, certaines échapperont à la peine capitale.
Le second plaisir, et non des moindres, que l’on prend à lire Diaboliques tient à la méthode de l’impétrant Docteur ès lettres Cédric Meletta : vous prendre par la main et vous donner le sentiment de partager avec lui les espoirs, les surprises et les frustrations d’interminables recherches au milieu des archives, des coupures de presse de l’époque et d’une petite centaine de livres composant la bibliographie.
Tout au long de ces 221 pages, l’écrivain-historien mène l’enquête et l’on retrouve à l’identique de ses deux précédents ouvrages, son sens du détail et de l’anecdote, qui redonne vie à tous ces disparus de l’Histoire, sa capacité à utiliser le mot ou l’adjectif que l’on va garder en mémoire irrémédiablement associé à la personne qu’il décrit. Il faut beaucoup de savoir-faire pour rendre attractif les conclusions de milliers de pages dépouillées, comparées, questionnées et pour arriver à séparer le bon grain historique de l’ivraie fictionnelle ou mythique. Cédric Meletta y parvient avec l’aisance d’un jeune « vieux routier ».
Ainsi, l’auteur prend le soin d’inviter le lecteur à la table de Veronica Antonoveci afin d’écouter ses confidences, enfin ce qu’elle acceptera de lui confier d’une certaine Rudolphina-Ana Kahan, dite Fina qui jouera les rabatteuses pour le sinistre Docteur Petiot. Nous compulsons avec lui les archives déclassifiées de la CIA pour suivre dans les couloirs du Grand Hôtel Hermitage de Nice, l’allemande Alice Mackert, chargée des questions juives, et nous annotons sous sa houlette celles de l’OMGUS dans le cas de la germano-britannique Waltraute-Ann-Mary Jacobson, membre de la cinquième colonne et amatrice d’œuvres d’art pour son compte personnel. Grâce à lui, on relira La Ronde de nuit de Patrick Modiano afin d’entrapercevoir la silhouette d’Hélène de Tranzé-Roseneck, dactylo trilingue, putain d’abattage, zazoue en 43 et rouage de la « Gestapo géorgienne », un bureau d’achat doublé d’une cellule d’espionnage. Condamnée à perpétuité, puis libérée au milieu des années 50’ (!) nous perdrons sa trace dans le sud de l’État de New-York.
On fera ses courses chez La Cotillon après avoir fréquenté le cercle Iéna qu’elle dirigeait avant-guerre : « Tapis voluptueux, service précis, parfums cuir de Russie et tabac anglais flottant dans les travées du lieu, jusqu’au bar américain pour les fins de nuits de succès ou de faillite. Au Iéna, les canailles sont indiscutées, à tu et à toi avec la Sûreté, la Bourse et le Parlement. Au petit matin, les visages sont lourds de fatigue. Seuls les beaux joueurs de l’aube parviennent à desserrer les dents » (p.23).
Et l’on ne versera pas de larmes lorsque Dédée Cotillon, une fois (bien) installée dans le Lot s’énamourera trop peu de temps à la fois d’Henryk Jensen, le patron de la Gestapo locale, et du vin de Cahors : douze balles empêcheront la fausse princesse et véritable hétaïre de goûter à la cuvée 1944.
À sujet grave et à personnalité sombre, sans jamais chercher à dédramatiser les faits et les crimes exposés, sans se pincer les narines devant cette « caque aux harengs », Cédric Meletta sait aussi faire naître les sourires sur les lèvres du lecteur. Il y a une extrême rigueur, de l’intelligence mais aussi de la malice dans ses études historiques. Il faut bien avouer que certaines de ses Diaboliques ont des traits de personnalité qui frôlent la caricature et que la noirceur de leurs actes n’a d’égale que la sottise de leurs comportements et l’absurdité de leurs engouements. Ainsi l’avocate à la cour d’appel, maître Juliette Goublet, que sa sœur décrit ainsi : « Depuis la mort de notre père, Juliette commença une vie déréglée partagée entre un mysticisme excessif et une obsession sexuelle… ». Monarchiste, communiste, pacifiste, antifasciste, puis… collaboratrice au mouvement Les jeunes de l’Europe nouvelle pour lequel elle doit recruter des sections féminines, cette girouette nous fait perdre le nord et notre latin de premiers communiants.
Mais lorsqu’il restitue toute la perversité et la cruauté de la milicienne Maud Champetier de Ribes, compagne de Raoul Dagostini, le jusqu’au-boutiste, qui mena la première opération de répression dans le village de Vassieux situé sur le plateau du Vercors, le sourire se fige et soudain le Diable porte une culotte et des bottes de cheval, une cravache à la main, un revolver à la ceinture et se fait appeler « La Colonelle ».
Brillant, instructif, vivant, stylé, ce livre nous apprend enfin que d’autres pans de la collaboration sous l’Occupation n’ont jusqu’à présent pas été entièrement explorés. Amnésie sélective ? On peut compter sur l’auteur pour relancer l’enquête et nous associer bientôt à ses découvertes.
Catherine Dutigny
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