Deux poètes au Castor Astral - Eric Poindron et CharlElie Couture (par Philippe Chauché)
Comment vivre en poète, 300 questions au lecteur et à celui qui écrit, Eric Poindron, Le Castor Astral, coll. Curiosa & Cætera, février 2019, 128 pages, 15 €
La Mécanique du ciel, 50 poèmes inchantables, CharlElie Couture, Le Castor Astral, coll. Curiosa & Cætera, février 2019, 272 pages, 18 €
« Celui qui vit en poète, c’est celui qui fait, qui dit, qui lit, qui luit. Qui pille puis éparpille » (Eric Poindron, Quelques réponses sans questions avant les questions sans réponses).
« Et ils mettent le feu / En jouant free du Jazz / Oh Jazz ! Eternel Jazz viral et revival, / Comme des flèches d’énergie virile » (CharlElie Couture, Down Town Manhattan).
En tauromachie cela se nomme un mano a mano, deux toreros face à six toros, trois pour chacun, l’un et l’autre, deux styles qui parfois s’opposent, se confrontent, se mesurent, s’éclairent, deux passions communes : l’art taurin. Ici, la rencontre est poétique, et aventurière, l’un l’interroge et récolte, en collectionneur avisé, curieux et passionné, les traces des poètes qu’il fréquente et qui offrent en deux ou trois phrases leur définition arborescente de la poésie. L’autre, quand il ne chante pas, ne dessine pas, ne peint pas, quand il n’a pas sommeil, écrit de courts récits, saisis sur le vif sur ses terres françaises et américaines, des poèmes instantanés, qui sonnent comme les accords d’un blues qu’il plaquerait sur les cordes d’une guitare électrique. Comment vivre en poète et La Mécanique du ciel se croisent, et font surgir des brides de poèmes, de chansons et de romans à venir. Pour devenir poète, il s’agit d’intensément vivre en poète, en écrivain sur le qui-vive, de savoir lire, écouter, regarder, et puis d’apprendre tous les jours à écrire, comme l’on apprend à compter, à dessiner, à jouer de la guitare, ou à pêcher à la ligne.
Ici, Eric Poindron : La nuit / Quand les souris dansent / les rats de bibliothèque/ font la lecture / aux chats tout gris. Là, CharlElie Couture : C’est là / C’est à L.A. / C’est à Los Angeles, / C’est là que tu me laisses. Mots à mots, comme cape à cape dans l’arène, au fil du poème, comme sur le fil des cornes.
L’un voyage dans son musée imaginaire, son salon de curiosités où se dissimulent des écrivains qui pétillent et embrasent la littérature : Raymond Radiguet – Bonheur, je t’ai connu. Qu’au bruit que tu fis en partant –, Georges Perros, Emily Dickinson, ou encore, Gérard de Nerval – Retournons la lettre perdue ou le signe effacé, recomposons la gamme dissonante, et nous prendrons force dans le monde des esprits –, et André Breton qui aurait pu composer ce joyeux questionnaire, comme un jeu de piste ou un jeu de l’Oie, où derrière ses 63 cases se cachent tout autant de poètes.
L’autre traverse l’Atlantique, se glisse dans la peau des aventuriers du Nouveau Monde, saisit la folie dormante d’un ancien vétéran du Vietnam qui s’arme d’un AK-47, avant la déferlante du massacre, le désespoir rôde, un regard, un éclat de rire qui résonne, qu’amplifie la nuit, un amour qui s’éloigne, un autre qui revient, comme le furet, une nuit blanche où palpite la douce vie, deux accords qui crissent à Los Angeles, un souvenir d’enfance, bonheurs partagés lors de parties de pêche avec son père. La Mécanique du ciel c’est tout cela, mais aussi un jour de colère, de fièvres, de pulsions et de passions, un cahier suspendu, écrit, avant d’être peut-être dessiné ou chanté. CharlElie Couture nous donne des nouvelles du monde, comme en son temps Jack Kerouac.
« Ô tendre province / Mélangée de rituels bourgeois et religieux ; / Comme une mécanique au quotidien, tiens, une routine, / Une toupie, symbole d’un univers qui “spin” sur lui-même », CharlElie Couture, Tendre Province (Provincial Blues), Epinal, mars 1973.
« Que représente pour vous le PAYS NATAL ?
Mais le pays natal est moins une étendue qu’une matière ; c’est un granit ou une terre, un vent ou une sécheresse, une eau ou une lumière. C’est en lui que nous matérialisons nos rêveries ; c’est par lui que notre rêve prend sa juste substance ; c’est à lui que nous demandons notre couleur fondamentale », Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, éditions Corti, recopié par Eric Poindron.
Eric Poindron joue et se joue de ce questionnaire aux éclats dadaïstes, et ajoute une pierre taillée à sa collection de livres à construire. CharlElie Couture imprime ses pensées désinvoltes et ses aventures amplifiées, dans un long blues aux accents mêlés. Ces deux écrivains ne pouvaient que se rencontrer, leurs livres se mêlent, et s’éclairent l’un l’autre, dans un mano a mano littéraire réjouissant.
Philippe Chauché
Eric Poindron est éditeur, collectionneur, et écrivain. Nous retiendrons notamment L’Ombre de la girafe (Bleu Autour), L’Etrange questionnaire (Les Venterniers), Comme un bal de fantômes (Le Castor Astral), Gilles Lapouge en toute liberté (Le Passeur), Merci, Paris ! 20 écrivains amoureux de leur quartier (Taillandier).
CharlElie Couture est compositeur, musicien, chanteur, photographe, dessinateur et peintre. Il a enregistré 23 albums, et écrit notamment : L’Atelier New York-Cœur (Presses littéraires), Le Couloirdes brumes (Le Pré-aux-Clercs), des carnets de voyages, de dessins, de toiles et de photographies.
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